mardi 25 décembre 2018

Message de Noël de l'Archevêque de Bangui (RCA)

Le Verbe s’est fait chair et il a « dialogué » avec les hommes !

Frères et sœurs dans le Christ,
Et vous, hommes et femmes de bonne volonté,
Que la paix et la grâce de Dieu vous soient données en abondance de la part de notre Seigneur Jésus-Christ !

Aujourd’hui notre Sauveur est né ! La sainte liturgie nous offre à contempler et à célébrer le mystère de la Nativité à travers plusieurs textes de la Sainte Ecriture. En lien avec le thème de l’année pastorale 2018-2019 de l’Archidiocèse de Bangui, j’ai fait le choix de méditer le Prologue de l’évangile selon saint Jean que nous lisons à la messe du jour.
                                       
Le Verbe de Dieu                                                            

Le prologue de  Jean nous révèle l’importance de la Parole de Dieu, qui est déjà perçue dès la première page du livre de la Genèse : «  Au commencement, Dieu a tout créé par sa Parole » (cf. Gn 1, 1-33). La parole de Dieu est créatrice. L’évangéliste Jean affirme que ce  « Verbe était auprès de Dieu, il était Dieu ». Ce n’était pas une existence séparée, mais il participait à la divinité de son Père. Dieu et son Fils sont toujours ensemble dès le commencement du monde et les deux se communiquent. L’expression « auprès de Dieu » nous révèle que le Verbe est toujours avec Dieu et il est dialogue avec les hommes. Dès cette terre, nous sommes invités à vivre en communion avec Dieu. Le Verbe donne à ceux qui l’accueillent de devenir « enfants de Dieu ». C’est pourquoi, Dieu nous a envoyé son propre Fils, son Verbe «  venu dans notre monde » pour communiquer avec les hommes afin que ces derniers découvrent la grandeur de son amour.

L’initiative de Dieu

Dieu ne se fatigue pas de communiquer avec les hommes. Dans le passé, Il a parlé par les prophètes. La lettre aux Hébreux le dit clairement : «  Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu en ces jours, nous a parlé par son Fils » (He 1, 1). Désormais le Fils de Dieu vient dresser sa tente au milieu des hommes. Tel est le mystère de l’Incarnation. Dieu se fait proche de nous. Est-il aussi proche de nous en Centrafrique ?
Au regard des nombreux évènements douloureux qui ont marqué l’histoire de notre pays à savoir les pillages, les incendies, les maladies, les morts nous pouvons croire, en jugeant selon la chair, que Dieu n’est plus parmi nous, qu’il semble s’éloigner de notre terre centrafricaine. Mais, aujourd’hui, une bonne nouvelle nous est annoncée : « Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14). Le Verbe de Dieu vient encore aujourd’hui dans le monde et plus particulièrement dans notre pays. Dieu se fait présent en son Fils, Il communique par Lui. En Jn 5, 43, Jésus le dit : « Je viens au nom de mon Père ».

L’amour infini de Dieu

Frères et sœurs,
La Nuit de Noël révèle l’amour incommensurable de Dieu. Dieu ne vient pas habiter dans la tranquillité, dans la sécurité mais dans un environnement à hauts risques. La nuit de Noël avec tous les risques et périls pour les bergers et leurs troupeaux, c’est dans ce lieu où le Verbe de Dieu s’est fait chair. Il est né dans une mangeoire autour de laquelle peuvent être des loups, des bêtes féroces qui rodent, cherchent quoi dévorer tout comme  « le lion qui rugit, va et vient à la recherche de sa proie » (1 P 5, 8). Cette zone à risque pour les bergers et leur troupeau devient aussi une zone à risque pour l’enfant Jésus, Marie et Joseph ; plus large, une zone à risques pour Jésus le Bon Berger et nous, son troupeau. Aujourd’hui encore le Verbe de Dieu risque sa vie pour venir habiter chez nous, dans notre pays marqué par une grande insécurité, tant de violence et de tuerie. Tel est le mystère de l’incarnation, Tel est l’amour infini de Dieu pour nous aujourd’hui dans ce pays la RCA. Tel est le mystère de Dieu ! Qui peut connaître la pensée de Dieu ? En la personne de Jésus, Dieu lui-même prend l’initiative de venir communiquer sa pensée, sa volonté à toute l’humanité. Jésus en témoigne dans l’évangile de Jean : « Je dis ce que le Père m’a enseigné » (Jn 8, 28). Jésus reste fidèle à la parole de Dieu qui est vérité et qui donne vie. Ainsi, nous sommes appelés à communiquer la parole de vérité et non de mensonge, la parole de vie et non la parole de mort.

L’incarnation, véritable chemin de dialogue

Le mystère de l’Incarnation vient éclairer, irriguer notre pratique du dialogue œcuménique et interreligieux en cette année pastorale 2018-2019. Dans quel sens ? Le Verbe de Dieu suit un itinéraire en trois étapes :
D’abord, la démarche de l’abaissement : Dieu par son Fils  vient à la rencontre de l’homme. « Lui qui est de condition divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et par son aspect il était reconnu comme un homme ; il s’est abaissé… » (Ph 2, 6-8). La première étape du dialogue, c’est l’humilité, Dieu se fait tout petit dans une crèche pour venir rencontrer l’humanité. Pour dialoguer, il faut aller à la rencontre de l’autre, se dépouiller de son propre orgueil, de sa grandeur. Dans le dialogue, on se fait petit. Aujourd’hui, Jésus, Verbe de Dieu nous sert d’exemple. Or de nos jours, chacun veut imposer ses idées, ses forces et n’est pas prêt à s’humilier comme Dieu l’a fait.
Ensuite, en Jésus Dieu se fait semblable à nous et épouse le langage humain afin de communiquer avec l’humanité sans ambigüité. Pour bien dialoguer, il faut se comprendre dans le même langage. Le Verbe de Dieu vient créer le lien entre Dieu et l’être humain. La conception biblique de l’homme est dialogale, dès sa création, il entre en dialogue avec son Créateur, un dialogue qui exprime l’alliance scellée par Dieu avec son peuple.
Jésus nous trace une autre pédagogie du dialogue qui consiste à créer, tisser le lien entre nos frères d’autres confessions religieuses et entre nous-mêmes. Célébrer l’incarnation de Jésus revient à créer ce lien entre nous. Noël, c’est la fête en famille. Sommes-nous des agents de communication et de création de tissu social dans nos familles, nos communautés chrétiennes et religieuses, nos mouvements, fraternités et groupes de prières et encore avec les frères et sœurs des autres confessions religieuses ? Pouvons-nous célébrer l’incarnation du Verbe comme source de tout lien en étant des vecteurs de discorde, de désunion dans le couple, dans la société ou dans l’Eglise ?
Rappelons-nous que nous sommes créés par cette Parole de Dieu, nous sommes l’image de Dieu, ainsi devons-nous apprendre les voies de faire la paix et l’unité.
Enfin ce dialogue débouche sur la lumière (Jn 1, 4-5) ; il arrive à quelque chose de bien, de beau, de lumineux. Comme le dit l’Apocalypse : « Les serviteurs verront son visage, la nuit n’existera plus, ils n’auront plus besoin de la lumière d’une lampe ni de la lumière du soleil, parce que le Seigneur Dieu les illuminera. » (Ap 22, 4-5). Grâce à cette lumière nous verrons le vrai visage de nos frères et de nos sœurs. À la suite de Jésus Verbe de Dieu, une fois franchi ces trois étapes du dialogue, nous voyons clair, la lumière qu’est Jésus dissipe toutes nos pensées ténébreuses, nos a priori, nos préjugés envers les autres. Ainsi, toutes les barrières préconçues, les préjugés tombent et nous pouvons voir les autres avec les yeux de Dieu.

Le refus d’accueillir le Verbe de Dieu

Frères et sœurs,
Malgré l’initiative et la démarche de Dieu dans l’humilité, certains hommes refusent totalement d’accueillir le Verbe de Dieu. « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu. » (Jn 1, 11) « La lumière a brillé dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise. » (Jn 1, 5) Il est impossible que la lumière et les ténèbres résident ensemble. Le Verbe a paru au milieu des hommes remplis de ténèbres, et il a paru comme éclatante lumière, mais ceux qui étaient ténèbres, et voulaient conserver les ténèbres, ne pouvaient pas recevoir la lumière divine du Verbe, qui ne peut que remplacer les ténèbres et jamais demeurer avec elles. Voilà pourquoi ces hommes qui étaient ténèbres, n’ont pas saisi, embrassé, compris cette lumière. Ils ont fermé leur cœur à la lumière et les grâces divines n’y pénètrent pas ou sont rejetées, et ils restent dans l’obscurité.

La contrevaleur de la Parole de Dieu

Le prologue de Jean nous montre les bienfaits du Verbe de Dieu. Hélas, souvent nous sommes loin de vivre cette Parole créatrice et constructive. Pour la plupart, nous usons plutôt d’une parole destructrice. Notre parole ment, calomnie, détruit, tue. Comme le dit Saint Jacques « notre langue est un feu… elle enflamme le cycle de la création » (Jc 3,6). Combien de nos frères et sœurs ont perdu leur renommée, leur réputation, combien souffrent dans leur corps et leur âme jusqu’à perdre même leur vie à cause de notre parole de méchanceté, de jalousie et de haine ? Les réseaux sociaux deviennent ce lieu par excellence où, au lieu de communiquer une parole de vérité, d’unité et de paix, on communique le mensonge, on attise la haine, la violence, le dénigrement de la dignité humaine, les fausses valeurs. Nos réseaux sociaux, notre monde ont encore tant besoin de purification, c’est pourquoi, dans la première lecture de la messe du jour, Dieu nous invite, par la voix du prophète Isaïe, à être de vrais messagers qui annoncent les bonnes nouvelles, le salut et la paix. Telle est la finalité de notre dialogue. Notre véritable dialogue avec nos frères et nos sœurs ne peut que déboucher sur la paix, la bonne entente, le salut de chacun de nos frères et sœurs. Ainsi, tous ensemble nous pouvons voir le salut de notre Dieu (Is 52, 10).

Que Notre Dame de l’Oubangui, Mère du Verbe incarné purifie notre langage et nous porte vers l’unité et la paix, dans notre pays, nos familles, nos mouvements et fraternités et nos lieux de travail. Amen !
                                                                           
Dieudonné Card. NZAPALAINGA


mardi 18 décembre 2018

MESSAGE DE NOËL 2018 DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU TCHAD

Tous frères dans la maison commune 

« Celui qui aime Dieu et n’aime pas son frère est un menteur » (1Jn 4,20) Chers frères et sœurs dans le Christ,  Hommes et femmes de bonne volonté !
1. Alors que nous marchons vers Noël, fête de la rencontre de Dieu et de l’humanité à travers le mystère de la naissance de Jésus, nous portons un regard de pasteurs sur notre Eglise et notre pays et nous pensons déjà au message des anges : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes car Dieu les aime ». Nous nous interrogeons sur l’écho de ce message au cœur des fidèles… C’est pourquoi, nous orientons notre message de cette année sur le thème : « Tous frères dans la maison commune » pour vous aider à mieux l’accueillir personnellement, en famille et en communauté.
2. Nous sommes en effet préoccupés par la dégradation des relations entre les Tchadiens, trahissant leur désir intime de concorde et de cohabitation pacifique avec le voisin dans une nation fondée sur la fraternité et la solidarité. Nous nous tournons tout naturellement vers Dieu, le Créateur de l’univers visible et invisible et créateur de toute l’humanité pour discerner quel est son projet en créant l’univers cosmique et l’univers humain. Ainsi pourrons-nous mieux apprécier la situation de notre pays et le rôle de notre Eglise.
I. « VOUS ETES TOUS FRERES…VOUS N’AVEZ QU’UN SEUL PERE » (Mt 23, 8-9)
Dieu crée l’homme et le rend responsable de la maison commune  3. L’éminente dignité de l’homme et sa place privilégiée au cœur de la création sont fortement soulignées par le livre de la Genèse et résumées par le Psaume 8 : « Qu’est-ce que l’homme... que tu en prennes souci ? Tu l’as voulu un peu moins qu’un dieu… le couronnant de gloire et d’honneur ; tu l’établis sur les œuvres de tes mains, tu mets toute chose à ses pieds ».
4. En créant ainsi l’homme, Dieu le met dans une relation particulière avec Lui puisqu’Il l’a voulu « à son image et à sa ressemblance… homme et femme il les créa » (Gn 1, 26-27) ; il les a placés dans une relation vitale avec la nature (nourriture et compagnie) mais bien plus, Il établit entre l’homme et la femme une relation de communion dans la différence ; la différence est assumée comme complémentarité.
5. Il leur donne en fermage la terre où Il les a placés et leur confie la mission de l’exploiter pour en tirer les ressources nécessaires à leur vie. Il les rend co-responsables de son développement et de son devenir. La terre est l’environnement naturel de l’homme et le lieu de son épanouissement humain ; elle est « la maison commune », selon la belle expression du Pape François dans son Encyclique « Laudato sì ». Elle devient le premier bien commun dont nous avons à prendre soin, tous ensemble, et à en tirer des ressources pour notre propre existence et pour le bien-être de notre entourage. 
« La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant qui rend gloire au créateur »
 6. L’homme n’est véritablement la gloire de Dieu que s’il marche dans les voies du Seigneur et garde présent à l’esprit le souci de communion dans la relation qui le lie au Créateur, à la nature et à son semblable. Le péché d’égoïsme a provoqué une perte de confiance et perturbé cette relation dont les conséquences sont nombreuses : l’homme a peur de se présenter devant Dieu et se cache ; il se méfie de son semblable et leur rapport sera un rapport de domination ; la rupture est consommée avec la nature dont l’homme tirera péniblement sa subsistance (Cf. Gn 3, 8-13).
 7. Ainsi, la perturbation des relations avec Dieu, avec la nature et avec l’autre compromet gravement l’épanouissement humain que Dieu veut pour l’homme. Quand l’attention que nous devons nous porter les uns aux autres manque à cause des égoïsmes, des jalousies ou de l’orgueil, nous en arrivons à nier à l’autre tout droit à l’existence et à l’accès au bien commun. Cela est vrai quand il y a des conflits d’intérêts. C’est la question que Dieu pose à Caïn : « Où est ton frère Abel ? » et l’impertinente réponse de Caïn : « Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ? ».  Non seulement Caïn a tué son frère, mais il ment et se montre indifférent à son sort. A la question   « Qu’as-tu fait ? », il répond par le silence et ce silence constitue sa propre condamnation           (Gn 3, 9-10).
8. C’est la fin d’une conscience de fraternité et de solidarité. La violence va alors s’installer et pervertir les relations entre les hommes, entre eux et la nature, entre les hommes et Dieu. Mais ces relations sont tellement liées entre elles qu’aux yeux de Dieu il est inconcevable de les séparer. Comme le dit S. Jean : « Celui qui aime Dieu et n’aime pas son frère est un menteur » (1Jn 4, 20). Nous voilà de nouveau renvoyés à notre frère ! Jésus le confirme à travers la parabole du Bon Samaritain dans laquelle il nous fait découvrir qui est le vrai frère (Cf. Luc 10, 25-37). Le vrai frère n’est pas seulement le membre de ma communauté familiale, ethnique ou religieuse. Jésus est venu faire tomber les barrières de méfiance et de haine qui séparaient les familles humaines en nous apportant la « Bonne Nouvelle de la paix » et en faisant de nous des frères,          « membres de l’unique famille de Dieu » (Ep 2,17-19). 
9. Il est indéniable que la famille demeure le premier lieu où se découvre et se vit la fraternité. La famille est sacrée parce qu’elle est un don de Dieu mais elle appelle à la responsabilité de ses membres pour rester unie et solidaire. Cela se traduit par l’éducation familiale et sociale, l’éducation scolaire et civique. Il ne s’agit plus seulement de la famille nucléaire parce que Dieu a voulu élargir notre sens de la fraternité en nous faisant naître dans ce pays qu’est le Tchad. Notre pays est comme notre grande famille : avons-nous conscience que nous sommes frères et sœurs ? 
II. REGARD SUR NOTRE PAYS 
10. Le deuxième couplet de notre Hymne national nous rappelle la fraternité voulue par Dieu lorsqu’il dit : « Peuple du Nord et ses troupeaux immenses, peuple du Sud qui cultive ses champs, pasteurs, montagnards, pêcheurs, commerçants, soyons un seul grand peuple qui s’avance ». Sommes-nous vraiment un seul peuple en marche ? 
Le désir de construire le vivre ensemble.
11. Le désir des Tchadiens a toujours été de vivre ensemble comme frères et sœurs. Ils l’ont réaffirmé lors de la Conférence Nationale Souveraine en voulant vivre ensemble dans un Tchad unifié, apaisé. Ce désir s’est encore exprimé dans le Plan National de Développement (PND) 2017-2021 dont l’objectif est de lutter contre les inégalités sociales qui entraineraient la fragilisation de l’unité nationale et de la démocratie. 
12. Vivre l’unité nationale appelle tout Tchadien à construire avant tout la fraternité. La Fraternité, comme la famille, est un principe sacré. Elle se construit essentiellement à partir d’une volonté de vivre ensemble et non plus sur une base ethnique ou régionale. Si cette volonté manque, il faut la susciter en créant une solidarité nationale plus agissante comme nous l’avons connue autrefois dans nos communautés villageoises. La solidarité se construisait autour des activités menées ensemble telles que les pêches et chasses collectives, l’entraide dans les travaux, dans les différentes fêtes qui marquaient la vie de la communauté, dans le soutien moral et matériel pendant les moments difficiles.
13. La fraternité consiste donc pour les fils et les filles de ce pays à coopérer ensemble et à unir leurs forces et leurs compétences pour un même but : le bien-être de tous les Tchadiens. On parviendra ainsi à l’émergence de notre pays à laquelle aspirent tous les citoyens. Cette fraternité vécue au quotidien par les Tchadiens renforce l’unité et permet au pays d’augmenter ses capacités à créer, à produire, à gérer et à protéger le bien commun. Il est temps que nous apprenions à nous aimer entre nous, à travailler ensemble pour rendre le pays plus solide et prospère. En effet, beaucoup de lois et de déclarations prônent la fraternité nationale mais leur application pose problème.
Les obstacles à la fraternité nationale
14. Au Tchad, ce qui nous différencie est minime et ne peut être véritablement un obstacle à la fraternité : les habitudes de vie, les lieux de vie, les goûts alimentaires, les activités… ne sont que des variations pour assurer une certaine diversité. La fraternité est vraie si le besoin de chaque citoyen est satisfait et s’il bénéficie des ressources du pays dans le respect du Bien commun. Mais il y a des obstacles qui nous empêchent de vivre ensemble dans notre maison commune qu’est le Tchad. 
15. Le contexte géopolitique actuel apparait comme un recul qui ne favorise pas la fraternité. L’intégration linguistique, ethnique et religieuse des Tchadiens reste un long chemin à parcourir. Comment parler de l’avenir du Tchad quand certains apprennent tout en français et d’autres tout en arabe ? Comment les Arabophones et les Francophones pourraient-ils construire leur pays si la langue devient un obstacle à l’intérieur de la famille ? 
16. La cohabitation pacifique qui avait pris un bon départ se trouve confrontée à des difficultés malgré les nombreuses rencontres entre les leaders des confessions religieuses et la célébration de la Journée du 28 novembre. Elles sont visibles dans la multiplication des conflits intercommunautaires sans vraie solution, l’accaparement de terre, la violation des espaces sacrés traditionnels, l’impunité, la corruption, le népotisme, le radicalisme religieux et la confusion des rôles entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire. La peur de l’autre et la méfiance constituent une barrière qui handicape le vivre ensemble.
17. Tout projet éducatif a pour but de former des citoyens capables d’assumer des responsabilités, de promouvoir le bien commun dans le respect des autres.  Nous constatons hélas, qu’il y a une multiplicité d’instituts qui ne visent pas toujours ces objectifs. Nous déplorons le manque de volonté politique pour résoudre les problèmes liés à l’éducation. La réduction de la durée de l’année scolaire devient habituelle et est considérée comme normale. Le manque de dialogue sincère entre les différents partenaires en éducation (parents, enseignants et autorités) ressemble à un jeu de cache-cache qui exclut les principaux concernés que sont les enfants et les jeunes. Et pourtant, dans la maison commune, les aînés ont la responsabilité de l’éducation des cadets. Comment dans ce contexte leur inculquer un esprit d’effort, de mérite, de juste récompense et de respect du Bien commun ? 
18. Dans le domaine de la santé, nous saluons les efforts fournis par l’Etat et ses partenaires en matière de santé publique, notamment l’amélioration de l’accès aux soins et la lutte contre les maladies telles que le VIH/SIDA, le paludisme, la tuberculose, la poliomyélite, l’onchocercose, la rougeole, la méningite, et d’autres maladies comme le ver de Guinée, la fistule, etc. Nous saluons l’effort de l’Ordre national des pharmaciens dans la lutte contre les médicaments de la rue. Cependant, nous sommes inquiets de la situation de la Centrale Pharmaceutique d’Approvisionnement et d’Achat (CPAA) ainsi que de la prolifération des écoles de santé et des centres de soin hors contrôle.      
19. La mauvaise gouvernance crée des mécontents, engendre des tensions sociopolitiques et brise le tissu social. Le mérite et la culture de l’excellence sont remis en question. Les critères d’attribution des postes de responsabilité n’obéissent souvent pas aux principes de compétence et d’honnêteté. Nous nous étonnons que les louables efforts d’audit des diplômes qui avaient si bien commencé soient interrompus. C’est dire que certains diplômes et documents administratifs proviennent de sources douteuses. La pratique du faux semble ne plus gêner personne.  
La destruction de l’écosystème
20. Nos ancêtres avaient mieux compris que nous leur responsabilité par rapport à la terre et à l’environnement à travers les lois et les coutumes, la réglementation sur la pêche, la chasse et les cueillettes. Malgré les lois de protection de l’environnement, nous continuons à détruire ce qui pourrait nous permettre de sauvegarder notre maison comme nous le rappelait « La Complainte du Tchad » : « C’est à toi notre patrie que nous devons notre souffle. Mais en retour d’un si grand bienfait, ignorants, nous te piétinons ». Cette ingratitude se constate dans le changement climatique qui n’est plus uniquement un débat scientifique mais relève de plus en plus de l’éthique et de la morale. Il affecte nos vies, nos droits et en particulier ceux des communautés les plus pauvres, les plus marginalisées et vulnérables.
III. « QU’IL EST BON, QU’IL EST DOUX D’HABITER EN FRERES TOUS ENSEMBLE »
21. Au terme de ce Message, nous voulons exprimer notre confiance et notre ferme volonté de marcher vers cet idéal et de promouvoir tout ce qui peut encourager le vivre ensemble des enfants du Tchad dans l’unité, la solidarité et la fraternité. Ce vivre ensemble est conditionné par le respect des diversités ethnique, religieuse, régionale et culturelle. Nous voulons nous adresser plus particulièrement :  
Aux communautés chrétiennes
22. Frères et sœurs, ce Message s’adresse d’abord à vous. Nous vous invitons à l’accueillir avec foi et espérance. Nous nous reconnaissons enfants d’un même Père en Jésus-Christ, son Fils, qui nous unit dans la communion du Saint-Esprit. Soyons témoins de cette vie de famille et que notre vivre ensemble soit modèle d’une fraternité universelle.   
Aux leaders religieux
23. Nous invitons de tout cœur nos frères responsables religieux à saisir ensemble avec nous toutes les opportunités pour entreprendre des actions qui favorisent le dialogue qui invite à la tolérance, au pardon et à la réconciliation. Que notre enseignement de la Parole de Dieu dénonce et brise tout ce qui fait obstacle à la fraternité. 
Aux dirigeants et hommes politiques
24. Nous invitons tous les dirigeants de notre pays, hommes politiques, syndicats, associations de la société civile et autorités traditionnelles, à avoir un sursaut de conscience politique pour amener leurs frères et sœurs à vivre comme les enfants d’une même famille dans notre maison commune. Que chacun, dans l’exercice de ses responsabilités, se laisse animer par la volonté patriotique de donner la chance à tous les Tchadiens de s’accepter les uns les autres pour favoriser le vivre ensemble.
Aux jeunes
25. Et vous, jeunes, nous sommes conscients que nous les aînés avons compromis votre avenir. Malgré tout, nous vous invitons à relever le défi de l’avenir par l’authenticité de votre vie fraternelle. Cherchez à gagner honnêtement votre vie par le travail, quel qu’il soit. Ne vous découragez pas ! En vous tenant les mains, vous serez plus forts pour protéger notre environnement pour qu’il vous procure le bien-être. Croyez que vous pouvez transformer vos rêves en réalité. Et vous, jeunes chrétiens, vous avez une plus grande responsabilité dans cette mission, étant disciples missionnaires de Jésus-Christ.
Aux familles
26. Nous vous sommes reconnaissants pour les valeurs acquises et transmises par l’éducation familiale, scolaire, sociale et religieuse qui favorise le vivre ensemble et l’épanouissement de tous dans la maison commune que nous sommes en train de détruire. Nous faisons nôtre cet appel du Pape François : « J’adresse une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète. Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concerne et nous touche tous » (Laudato sì, 14). 
Puisse l’Enfant de Noël vous bénir et faire croître l’amour fraternel dans chacun de vos cœurs !
Joyeux Noël et Bonne Année 2019 !
DJITANGAR GOETBE Edmond, archevêque de N’Djamena, président de la CET
Jean-Claude BOUCHARD, évêque de Pala Miguel SEBASTIAN, évêque de Sarh Rosario
Pio RAMOLO, évêque de Goré Joachim KOURALEYO TAROUNGA, évêque de Moundou
Henri COUDRAY, vicaire apostolique de Mongo
Martin  WAINGUE BANI, évêque de Doba  
Nicolas NADJI BAB, Administrateur diocésain de Laï.

jeudi 6 décembre 2018

In memoriam : Koulatoloum Nazaire (par Pascal Djimoguinan)


Autrui me concerne comme prochain. Dans toute mort s’accuse la proximité du prochain, la responsabilité du survivant, responsabilité qui l’approche de la proximité meut ou émeut (E Levinas, Dieu, la mort et le Temps).
Dans la vie, la mort cruelle vient souvent briser les réseaux de relations que la vie a su créer. Chaque personne est un nœud de relations qui lie d’autres personnes à d’autres. Il suffit de la mort d’un être pour qu’un nœud de relation saute.
Koulatoloum Nazaire n’est plus. Il s’en est allé, tout doucement, sur la pointe de ses pieds. Comme il en a l’habitude, c’est comme s’il faisait une blague.
Mon voisin de classe en terminale au Collège Charles Lwanga et de la même équipe, responsable du dortoir-Ouest en classe de seconde.
Si ta voix s’est éteinte Nazaire, que la mienne, comme l’écho prolonge la tienne pendant un temps, si éphémère soit-il.
Je voudrais simplement que tous ceux qui t’ont connu aient une pensée pieuse pour toi. Nous avons fait une partie du chemin ensemble. Qui sait si grâce à la relativité du temps et à sa fugacité, nous ne nous retrouverons encore pour continuer le chemin ?
Les mots ne peuvent dire tout ce qui a été vécu ; parfois le silence est plus porteur. Va en paix Nazaire !