vendredi 11 septembre 2015

Mon rival, mon semblable. Afrique d’hier et aujourd’hui (par Pascal Djimoguinan)



            Autrefois, en pays Sara, il n’était pas donné à tout le monde d’épouser une femme qui était déjà dans les liens matrimoniaux avec un autre homme. Les histoires de rivalité s’arrangeaient dans le sang qui, seul était capable de laver les affronts de ce genre.
            Masngar avait eu l’outrecuidance d’épouser Madyon, une femme qui était déjà mariée et qui, ayant eu des problèmes avec son mari, avait regagné son village. La femme avait eu, de son premier mariage, un enfant qui était resté avec son père.
            Après quelque temps dans son nouveau foyer avec son Masngar, Madyon, appris le décès de son enfant resté dans le village de son ancien mari. Elle décida donc d’aller assister aux funérailles de son enfant.
            Masngar réunit les siens pour l’accompagner aux funérailles du fils de sa femme et de son rival. Il lui fut vivement déconseillé de s’y rendre car la famille du rival pourrait prendre cela comme une provocation. Toute la famille refusa donc d’accompagner Masngar.
            Masngar se trouvait devant un dilemme. S’il ne se rend pas aux funérailles, Madyon pourrait ne plus revenir car il n’a pas été capable de la soutenir pendant le deuil de son fils ; s’il s’y rend, il pourrait y trouver la mort car son rival ou ses proches pourraient le défier dans un combat singulier.
            Masngar, après réflexion, fit égorger un cabri. Il se fit préparer un bon repas qui prit le temps de manger, puis pris la peau de la bête qu’il enroula, prit son fourreau de couteaux de jet et une sagaie et se rendit au village où il y avait les funérailles du garçon.
            Arrivé au lieu du deuil, Masngar choisit un arbre non loin de l’endroit où le corps était exposé et s’assied ; il attendit un temps relativement long puis se leva, prit la peau de bête qu’il avait apporté. Il laissa sur place son fourreau de couteaux de jet et sa sagaie et alla vers le corps désarmé. Après avoir regardé le cadavre, il déposa la peau de bête à côté du corps puis regagna sa place sous l’arbre, attendant l’heure de l’enterrement. Ce qui agaçait Masngar, c’est qu’il avait oublié de prendre du tabac avec lui. Il avait une forte envie de fumer.
            Il vit que dans un groupe d’hommes, quelqu’un était en train de fumer. Il se leva, laissa ses armes sur place et alla vers le fumeur. Il a toujours existé une très grande solidarité entre les fumeurs. L’autre lui passa sa pipe. Il put ainsi tirée quelques bouffées, puis remit la pipe au propriétaire et repartit s’asseoir.
            Bientôt un groupe d’hommes s’approcha de Masngar. Il vit que son rival était parmi eux. Il hésita entre se lever pour se mettre en garde et attendre tranquillement assis ; il opta pour la seconde solution. Le groupe s’approcha de lui. Son rival vint s’asseoir en face de lui et le salua en disant : « Tu as accepté de venir enterrer avec moi mon enfant ; désormais je te considère comme un frère, plus comme un rival. Merci pour ce geste que tu as posé, tu es un grand homme ! » Tout le groupe salua Masngar. Parmi eux, il y avait encore un fumeur. Masngar lui demanda sa pipe et tira avec plaisir quelques bouffées avant de la lui remettre.
            Masngar attendit la fin de l’enterrement avant de rentrer chez lui, assuré que sa femme allait rentrer à la fin du deuil.



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