- La "prophétie chrétienne" n'est pas une "action
politique". Elle peut certes se concrétiser "dans de nombreuses
actions politiques et sociales, mais la tâche des évêques et des pasteurs en
général n'est pas celle-ci. Elle est d'annoncer la Parole pour éveiller les
consciences, pour dénoncer le mal, pour réconforter ceux qui sont affligés et
sans espérance. 'Consolez, consolez mon peuple' : cette devise qui revient,
revient, est une invitation du Seigneur : consolez le peuple". Ainsi, le
Pape François a offert des critères concrets réconfortants pour reconnaître ce
qui distingue toute forme de présence et d'exposition publique de l'Église du
protagonisme des lobbies et des appareils de nature politique, sociale,
culturelle ou religieuse. Il l'a fait vendredi matin 3 à Kinshasa, au siège de
la Conférence épiscopale nationale du Congo, en s'adressant aux évêques
catholiques de la République démocratique du Congo, dans ce qui était aussi son
discours d'adieu à ce pays et à son Église, avant de partir pour le Sud-Soudan,
deuxième étape de son voyage apostolique sur le continent africain.
L'évêque de Rome a commencé par exprimer sa gratitude pour la rencontre
qu'il a eue avec "une Église jeune, dynamique, joyeuse, animée par la soif
missionnaire, par l'annonce que Dieu nous aime et que Jésus est le
Seigneur". Celle qui est présente en République démocratique du Congo - a
remarqué le Souverain Pontife devant les évêques congolais - est une Église
présente dans l'histoire concrète de ce peuple, profondément enracinée dans la
réalité, protagoniste de la charité ; une communauté capable d'attirer et de
contaminer par son enthousiasme". Comme les forêts congolaises, pleines de
tant d'oxygène, elle peut être comparée à "un poumon" qui donne le
souffle à l'Église universelle". En même temps, son visage "jeune,
lumineux et beau" apparaît "marqué par la douleur et la fatigue,
parfois par la peur et le découragement". L'Église congolaise souffre et
assume les tribulations de son peuple, "crucifié et opprimé, frappé par
une violence qui n'épargne pas, marqué par la souffrance des innocents, un
peuple contraint de vivre avec les eaux troubles de la corruption et de
l'injustice qui polluent la société, et qui souffre de la pauvreté en tant de
ses enfants" Un peuple qui même dans tout cela "embrasse avec
enthousiasme la foi et se tourne vers ses Pasteurs, qui sait revenir au
Seigneur et se mettre entre ses mains" en suppliant que la paix tant
désirée, "étouffée par l'exploitation, l'égoïsme partisan, les poisons du
conflit et les vérités manipulées, puisse enfin advenir comme un don d'en
haut".
Le Pape a salué l'immanence et la co-participation de l'Eglise locale
aux événements matériels et sociaux et aux souffrances du peuple congolais,
loin de l'imposture de l'abstraction intellectuelle ou spiritualiste. L'annonce
de l'Évangile, l'animation de la vie pastorale, la conduite du peuple,
remarquait le Successeur de Pierre, ne peuvent se réduire à des principes
éloignés de la réalité de la vie quotidienne, mais doivent toucher les blessures
et communiquer la proximité divine". Et en exaltant l'immersion propice de
l'Église congolaise dans l'expérience réelle de son peuple, le Pape François a
voulu rappeler les connotations qui doivent distinguer l'exercice du ministère
pastoral des évêques dans les contextes et les situations critiques qui
marquent la vie des Congolais et de tant d'autres nations africaines. Il l'a
fait en rappelant comme modèle l'histoire du prophète Jérémie, "appelé à
vivre sa mission à un moment dramatique de l'histoire d'Israël, au milieu de
l'injustice, des abominations et de la souffrance.
Avant tout, a souligné le Souverain Pontife, Jérémie a fait l'expérience
de la proximité de Dieu, et ce n'est qu'à travers cette expérience de proximité
qu'il a pu apporter aux autres une courageuse prophétie d'espérance. De même,
les évêques et les pasteurs du peuple de Dieu sont aussi appelés avant tout à
se laisser " toucher et consoler par la proximité de Dieu " dans la
prière, " en nous tenant pendant des heures devant Lui ". Ce n'est
que de cette manière, a poursuivi l'évêque de Rome, que nous devenons vraiment
des pasteurs, car sans Lui nous ne pouvons rien faire. La proximité du Seigneur
nous libère de la tentation de "nous croire autosuffisants", et de celle
"de voir dans l'épiscopat la possibilité d'accéder à des positions
sociales et d'exercer un pouvoir". Et surtout : que n'entre pas l'esprit
de mondanité qui nous fait interpréter le ministère selon les critères de nos
propres intérêts utiles". La mondanité - a ajouté le pape Bergoglio -
"est le pire qui puisse arriver à l'Église, c'est le pire". J'ai
toujours été touché par la fin du livre du cardinal de Lubac sur l'Église, les
trois ou quatre dernières pages, où il dit : la mondanité spirituelle est le pire
qui puisse arriver, pire encore que l'époque des papes mondains et concubins.
C'est pire. L'histoire de Jérémie, poursuit le Pape Bergoglio, rappelle à tous
que seule la proximité du Seigneur peut faire des "prophètes pour le
peuple", ceux qui sèment "la Parole qui sauve dans l'histoire blessée
de cette terre". Jérémie, après avoir reçu et savouré "la Parole
aimante et consolante de Dieu", confesse que cette même Parole a semé en
lui "une envie irrépressible" de communiquer la même expérience aux
autres. La dynamique propre à la prophétie chrétienne est que "nous ne
pouvons pas garder la Parole de Dieu pour nous, nous ne pouvons pas contenir sa
puissance : c'est un feu qui brûle qui brûle notre apathie et allume en nous le
désir d'éclairer ceux qui sont dans les ténèbres".
Les évêques du Congo sont également appelés aujourd'hui à faire entendre
leur voix prophétique, à "arracher les plantes vénéneuses de la haine et
de l'égoïsme, de la rancœur et de la violence ; à renverser les autels
consacrés à l'argent et à la corruption ; à bâtir une coexistence basée sur la
justice, la vérité et la paix" et à "planter les graines de la
renaissance". Et leur prophétie, précisément parce qu'il ne s'agit pas
d'un simple activisme politique, ne doit pas se manifester par des poses d'indignation
auto-congratulantes et des "déclarations de condamnation" distribuées
à gauche et à droite pour gagner en visibilité médiatique. Il s'agit d'une
annonce faite non seulement de mots mais aussi de proximité et de témoignage :
proximité, tout d'abord, avec les prêtres - les prêtres sont ceux qui sont les
plus proches d'un évêque -, écoute des agents pastoraux" et témoignage
"en cultivant la communion, dans la vie morale et dans l'administration
des biens". Il est essentiel, en ce sens, a rappelé le Pape François, de
savoir construire l'harmonie sans se mettre sur des piédestaux, sans rudesses,
mais en donnant le bon exemple du soutien et du pardon mutuel, en travaillant
ensemble comme des modèles de fraternité, de paix et de simplicité évangéliques.
Dans la partie finale, le Pape François a également rendu hommage à deux
évêques-prophètes chers à la mémoire de l'Église congolaise : le cardinal
Laurent Monsengwo Pasinya et le jésuite Christophe Munzihirwa, archevêque de
Bukawu, tué en 1996 par un commando armé pour avoir gardé son peuple et les
réfugiés hutus fuyant les massacres génocidaires qui se déroulaient alors dans
la région des Grands Lacs. Le Pape François a rappelé le message délivré par
Mgr Munzihirwa, la veille de son assassinat : "En ces jours, que
pouvons-nous encore faire ? Restons fermes dans la foi. Ayons confiance que
Dieu ne nous abandonnera pas et que, de quelque part, une petite lueur
d`espérance naîtra pour nous. Dieu ne nous abandonnera pas si nous nous
engageons à respecter la vie de nos voisins, quel que soit le groupe ethnique
auquel ils appartiennent." (GV) (Agence Fides 3/2/2023).