mercredi 25 janvier 2023

Tchad les noms qui disent la survie (par Pascal Djimoguinan)

 Au Sud du Tchad, les noms donnés aux nourrissons expriment souvent ce qu’il y a de plus profond chez les parents. Les parents se servent des noms pour exprimer leurs préoccupations, leur espoir et quelquefois pour tracer la vie de leurs progénitures. On parle plus souvent des noms théophores, des noms trompe-mort, mais il y a aussi des noms par lesquels les parents expriment leur espoir de survie dans leurs enfants. Nous allons ici en parcourir quelques-uns.

Nous allons exploiter cinq lieux qui permettent aux parents d’exprimer leur espoir de ne pas disparaitre dans l’oubli de la mort. Les enfants sont en quelque sorte les parents qui continuent de survivre. Nous ne suivrons que l’ordre alphabétique de ces lieux sans donner un privilège particulier à aucun.

1 - Kō : Graines, semences.

Gens des Diallobé, souvenez-vous de nos champs quand · approche la. saison des pluies. Nous aimons bien nos· champs, mais que faisons-nous alors ? Nous y mettons le fer et le feu, nous les tuons. De même, souvenez-vous : que faisons-nous ·de nos· réserves de graines quand il a plu ? Nous voudrions bien les manger, mais nous les enfouissons en terre… « La tornade qui annonce le· grand hivernage de notre peuple est arrivée avec 'les étrangers. Gens des Diallobé. Mon avis à moi, Grande Royale, c'est que nos meilleures graines et nos· champs les plus chers, ce sont nos enfants (Cheik Hamidou Kane,, l’Aventure ambigüe, Julliard 1961, p 57-58).

La semence est ce qui permet d’exprimer la survie car elle est plus forte que la mort. Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit (Jean 12,24).

Kōḿ : Ma semence. Ici l’enfant est considéré comme une graine qui va pousser même lorsque le géniteur sera mort. Il pourra alors lui survivre et il ne disparaîtra pas.

Autour de la graine, vont se construire d’autres noms d’enfants qui vont exprimer la survie :

Mīndə̄kōḿ : Je mets ma semence en réserve : Je n’ai plus rien à craindre. L’enfant qui vient de naître est une réserve que je fais qui qui survivra après moi. Je ne disparaîtrai pas à jamais.

Kōna̰yal : La semence ne se perd pas. Désormais, je peux voir l’avenir avec optimisme car je sais que mes jours se prolongeront dans l’enfant qui vient de naître. Ainsi, je n’aurais pas vécu en vain.

2 – Gotə : La trace

La trace exprime généralement un passage. Même quand l’être humain ou l’animal n’est plus là, la trace montre qu’il est passé.

Gotúmtə́ : Qui me remplace. Cet enfant est celui qui va continuer la vie après moi. La vie qui est en moi va continuer en lui.

Na̰y̰igotúmtə́ : Il restera après moi. C’est la même idée de survie qui est exprimée ici. Il y aura quelqu’un pour me remplacer.

Tḛḛ̄gotúmtə́ : il germera après moi. C’est ma descendance. Il prolongera ma vie par son vécu. Je ne disparaîtrai pas.

3 – Tḛḛ̄ : Germer, sortir

L’idée qui est exprimée ici est la germination. Il s’agit d’une sorte de métaphore pour graine, de la semence. Ainsi donc la semence n’est plus considérée comme quelque chose d’extérieur mais il s’agit de moi-même.

Mātībəy : Je m’épanouirai. L’avenir n’est pas fermé pour moi. Par cet enfant, je pourrai affronter l’avenir même si la mort m’atteint aujourd’hui.

Mātḛḛ̄bəy : Je germerai encore, je pousserai encore. C’en est pas fini de moi, je survivrai, je continuerai de vivre en cet enfant.

Il y a un autre nom que nous pourrions rapprocher de ceux de cette catégorie :

Māna̰y̰aĺ : Je ne serai pas délaissé. Je ne serai pas seul car j’aurai toujours un soutien dans l’avenir.

4 – Majɪ : Le bien

Le bien est le but recherché par toute vie bonne. Le bien suprême est donc pour une personne de ne pas disparaître mais de continuer sa vie grâce aux enfants qu’il met au monde. C’est à ce prix que le clan peut continuer. Dans la procréation, nous avons une vie réussie dans la société.

Majɪɓəy : Encore le bien. Cet enfant est la confirmation d’un bien qu’on a déjà eu ; cela peut être une deuxième fille ou bien une fille qui naît après un autre événement heureux. C’est surtout la confirmation que la famille est bénie et qu’elle ne s’éteindra pas.

Majɪɔruḿ :  Le bien m’a choisi, Je suis l’élu du bien. L’enfant qui vient de naître est le bien qui vient visiter les parents, la famille. Ce bien n’est pas éphémère. Le bien a choisi de résider dans le clan et cela d’une manière continuelle.

Majɪunúm : Le bien m’a élevé, le bien m’a honoré. Je suis l’objet de la faveur du bien qui vient habiter chez moi. Cet enfant est pour moi une bénédiction.

Majɪsəḿ : C’est bien avec moi, je suis dans l’opulence. Une action de grâce pour le bien que l’on reconnaît dans sa vie. L’enfant est une bénédiction que l’on reçoit, une bénédiction qui va continuer au-delà de la tombe.

Majɪtə́l : Le bien est revenu. Après avoir connu un revers de fortune, les choses recommence à aller mieux. Cela peut être un deuil, une maladie, une dispute. Cet enfant à l’annonce d’un avenir radieux. La paix peut continuer désormais dans la famille, dans le clan.

Majɪrē : Le bien est arrivé. C’est une autre version du nom précédent.

5 – Ndubə̄ : C’est un lieu qui a été hérité des ancêtres, un héritage, un enfant né après la mort de son papa.

(Généralement les nom avec Majɪ sont des noms féminins).

Ndubə̄ : Héritage. Souvent c’est le nom donné à un enfant qui naît après la mort de son père. Le nom exprime que le père n’est pas mort en vain, il a eu le temps de transmettre la vie qui continue.

Ndubə̄bey : C’est encore l’héritage. Ici, l’idée qui est exprimée est celle de ce qui perdure. Malgré la mort, la vie du défunt perdure en cet enfant. Un enfant légué pour continuer la destinée du géniteur qui est mort.

Ndubə̄lo : La patrie. Ce nom est donné à l’enfant pour exprimer le fait que malgré la mort du père, la terre des ancêtres sera habitée. Il y a quelqu’un, en l’occurrence l’enfant, qui héritera de cette terre et qui l’habitera. Ce ne sera pas un désert.

6 – Rī : Le nom

Dans la tradition, le nom est la personne elle-même ; ainsi, les noms avec rī expriment ce qu’est la personne qui donne le nom.

Rimaslo : Mon nom remplit l’espace. Il est question ici du nom dans son sens de glorification. Il s’agit donc de renom. Par cet enfant, je suis connu partout. En ce sens, je ne disparaîtrai pas.

Rimasbe : Mon nom remplit le village, le pays. C’est la même signification que le nom précédent.

Rīna̰y̰aĺ : Mon nom ne se perdra pas. A ma mort, je ne souffrirai pas de l’oubli. Cet enfant fera perdurer ma mémoire au long des âges.

Rīḿtḛ̰ḛ̄bəy : Mon nom continue. Je ne mourrai pas en vain, je vivrai par cet enfant.

L’une des grandes craintes dans les traditions du groupe sara est celle de l’extinction d’une personne, d’une famille. La fécondité permet de de transcender cette crainte et cela s’exprime dans certains noms donnés aux enfants. C’est un chant d’action de grâce de pouvoir participer à la continuité de la famille et du clan.




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