Il est heureux qu’au Tchad, la journée du 28 novembre, jour de la proclamation de la République, ait été retenue depuis quelques années pour marquer un effort vers la paix : c’est la Célébration de la Journée de Prière pour la cohabitation pacifique et la concorde nationale.
Il faut cependant s’arrêter un moment pour se demander ce
que représente ce que l’on célèbre, pour ne pas courir le risque de galvauder
que ce qui serait devenu une « métaphore éteinte », n’ayant aucun
rapport avec la réalité.
L’initiative était bonne. Chaque année, à cette date, les
confessions religieuses se réunissent pour une prière œcuménique autour du
président de la République à N’Djamena et dans les provinces, autour du
gouverneur, du préfet ou du sous-préfet.
Les origines de cette prière remontent très loin dans le
temps. Déjà au temps du premier président de la République, monsieur Ngarta
Tombalbaye, les festivités de la journée
du 28 novembre se sont transformées en une journée de prière et de méditation
pour la paix au Tchad. Cela a connu une petite éclipse après lui. Quelques
années plus tard, sur les initiatives de monseigneur Matthias Ngarteri, cette
journée était consacrée à la prière pour la cohabitation pacifique et la
concorde nationale.
Année après année, la célébration de cette journée est entrée
dans les mœurs sans qu’on ait vraiment pris le temps de faire une évaluation du
chemin parcouru. Le réveil risque d’être brutal.
Des événements récents exigent un droit d’éventaire :
- La répression sanglante des
manifestations du 20 octobre nous interpelle. Qu’avons fait de notre projet de
paix et de cohabitation pacifique ?
- Un rapport de l’ONU est très
parlant à ce sujet : « En 2022, le bilan des
tensions communautaires au Tchad indique une courbe ascendante par rapport à
l’année dernière avec plus de 528 morts à la date du 9 octobre 2022 contre plus
de 400 en 2021… Selon le dernier décompte, au moins 36 cas de
violences communautaires ont été rapportés dans le pays. Le Sud enregistre 56%
des conflits communautaires (20 au Sud, 5 à l’Est, 5 au Lac, 5 au Centre
et 1 au Nord), avec une forte proportion (90%) pour la gestion des ressources
naturelles (conflits agriculteurs-éleveurs)[1]. »
Une question taraude : Qu’a-t-on pris l’habitude de
célébrer les 28 novembre au Tchad ? Les conflits entre éleveurs et
agriculteurs vont en s’amplifiant. Les tensions communautaires sont exacerbées.
Le vivre-ensemble n’est plus qu’un leurre
On a
cru qu’il s’agissait simplement de prononcer des incantations magiques et de se
croiser les bras, et la paix se ferait toute seule.
Il est
normal que des religieux se réunissent pour prier pour la paix. Il est normal
que les hommes politiques s’associent à cette prière. Mais jusque-là, les
hommes politiques n’ont pas encore fait leur travail.
Il s’agit
pour eux de passer à la praxis. Mettre en œuvre des activités et des
comportements qui, dans le concret de l’existence, mettre en place la paix.
Il
faut que les politiques prennent leurs rôles au sérieux car la paix est une
culture et un comportement. Comment encourager cela ?
Les
conflits éleveurs/agriculteurs ont lieu parce que des bœufs entre dans les
champs pour les dévaster. IL faut commencer par là. Ce n’est pas sorcier. Il
faut réinstaurer les couloirs de transhumance et interdire que des bœufs entrent
dans les champs.
Prendre
le temps de réfléchir sur l’élevage au Tchad. Est-on obligé de reproduire à l’infini
le schéma de l’élevage ancestral ? La modernisation doit également toucher
ce domaine. Pourquoi ne pas encourager le développement des ranchs ?
Si l’Etat
est celui qui a le monopole de la violence (selon le mot d’Éric Weil), il doit
mieux réguler la détention d’armes de guerre. Il n’est pas normal que des
particuliers détiennent des armes. Ce n’est pas non plus normal qu’un
militaire, hors de son service dispose d’armes de guerre. Il en va de la
crédibilité de l’Etat pour que les armes de guerre ne se retrouvent pas dans la
nature.
Il y
aura beaucoup d’autres mesures à prendre mais nous avons déjà ici un début de
solution.
Si les
religieux font leur devoir dans la célébration de la Journée de Prière pour la
cohabitation pacifique et la concorde nationale, l’Etat a également son devoir
qu’il ne peut éviter sans risque de démission.
A la
célébration, il faut ajouter la praxis pour que le Tchad puisse vivre en paix.