lundi 11 septembre 2017

Tchad: Initiés mâles et excisées, que faire? (par Pascal Djimoguinan)

            Le Tchad, tout comme la plupart des pays africains s’est engagé dans la lutte contre l’excision féminine. Après plus d’une décennie, le résultat est plutôt mitigé. Il semble que le moment est venu plus une réflexion plus systémique afin d’arriver à des stratégies plus adéquates.
            Le problème de l’excision au Tchad est jusque-là envisagé en lui-même, sans trop tenir compte qu’elle va côte à côte avec l’initiation traditionnelle masculine. De ce fait, lutter contre l’excision féminine et en même temps accorder plus de crédit à l’initiation masculine apparaît paradoxalement pour les femmes comme une autre sorte de machisme et de minimisation des femmes.
            L’argument principal utilisé pour convaincre les défenseurs de l’excision au Tchad n’est pas décisif. On se base généralement sur le fait que l’excision n’a été introduite que tardivement au sud du Tchad pour faire comprendre qu’elle n’est pas aussi traditionnelle qu’on voudrait le faire croire. Cet argument n’est pas persuasif car on pourrait dire la même chose de l’initiation traditionnelle masculine.
            Nous pourrions pour cela, reprendre L’hypothèse de Joseph Fortier (Histoire du pays Sara) lorsqu’il parle de l’implantation des tribus sara dans le sud du Tchad. Il s’appuie lui-même sur Gayo KOGONGAR :
« En suivant M. Gayo KOGONGAR (Histoire précoloniale des populations sara) nous distinguons deux groupes :
a) Les plus anciennement installés au Tchad sont les Ngambay du Logone, les Mbay et le Ngam du Moyen Chari. Or, il se trouve que ces trois ethnies ont en commun une initiation qui leur est propre, et des légendes d’origine (mythe de Sou, comme héros civilisateur) qui ont leur équivalent chez leurs voisins centrafricains (le Wanto des Gbaya et le Téré des Banda sont des prototypes de Sou.)
b) Les derniers arrivés : Goulay de Dobo qui ont migré vers l’ouest jusqu’à Donomanga et Mouroumgoulay, Mouroum de la région de Laï-Doba, clan royal de Bédaya, Kaba-Démé de Kyabé qui n’avaient pas d’initiation quand ils sont arrivés un peu avant 1800 ; ils ont tous « emprunté » une initiation aux voisins ; les Goulay et les Mouroum aux Toumak ; les Sar de Bédaya aux Ngam-Télé ; les Démé, aux Sar de Bédaya. Tous venaient du nord du Fitri ou du Guéra, pour échapper aux gens du Baguirmi ou du Ouadaï.
            Il se peut, sans que nous en ayons la preuve décisive, que Ngambay, Mbay ou Ngam soient arrivés au Tchad depuis le Bahr-el-Ghazal nilotique, en passant par le sud, c’est-à-dire par la Centrafrique. »
            Nous pouvons simplement souligner deux faits massifs. Parmi les plus anciennement installés et qui ont une initiation qui leur est propre, en gros, les Ngambay et les Mbay ne pratiquaient pas l’excision. Les derniers arrivés n’ont pas d’initiation à leur arrivée et les ont tous « empruntés.
            Ainsi, s’il faut lutter contre l’excision, ce n’est pas parce qu’elle a été empruntée.
            Il n’est pas adroit de valoriser l’initiation masculine d’une part et de lutter contre l’excision sans pour autant trouver quelque chose qui serait le pendant de l’initiation masculine. En pays sar, il existait une initiation féminine qui a été supplantée par l’excision. Il faudrait entreprendre des recherches dans ce domaine pour combler le vide que laisserait la pratique de l’excision. Ce vide est un véritable frein contre la lutte de l’excision.
            Un autre exemple se trouve chez les Mouroum. Les hommes pratiquent une initiation traditionnelle (le yondo comme chez les sar) alors que chez les femmes il n’y a pas d’excision mais une initiation traditionnelle. L’étude de cette pratique pourrait beaucoup aider à la disparition de l’excision.
            Pour le moment, ce qui fait la force de l’excision, c’est que si les hommes pratiquent le « yondo », les femmes peuvent se prévaloir de l’excision qui leur permet d’avoir leur propre rite.

            Pour finir, il faut continuer d’expliquer que l’excision, quel que soit sa forme est une mutilation génitale et que comme telle est une agression contre l’intégrité physique de la femme. La solution à ce problème ne viendra que d’un dialogue à tous les niveaux de la société. Il faut surtout éviter que la lutte contre l’excision apparaisse comme une agression. Cela ne fera qu’exacerber les antagonismes.


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