Voici le message du Pape François pour le Carême 2017, qui s'ouvrira le 1er mars avec la célébra"on
du Mercredi des Cendres. Ce texte, axé sur la parabole de Lazare et de l'homme riche dans l'Évangile de
Luc, a été rendu public par le Vatican ce mardi 7 février.
«Chers Frères et Sœurs,
Le Carême est un nouveau commencement, un chemin qui conduit à une des"na"on sûre : la Pâques de
la Résurrection, la victoire du Christ sur la mort. Et ce temps nous adresse toujours un appel pressant à
la conversion : le chrétien est appelé à revenir à Dieu «de tout son cœur» (Jl 2,12) pour ne pas se
contenter d’une vie médiocre, mais grandir dans l’ami"é avec le Seigneur. Jésus est l’ami fidèle qui ne
nous abandonne jamais, car même lorsque nous péchons, il attend patiemment notre retour à Lui et,
par ce;e a;ente, il manifeste sa volonté de pardon (cf. Homélie du 8 janvier 2016).
Le Carême est le moment favorable pour intensifier la vie de l’esprit grâce aux moyens sacrés que
l’Église nous offre: le jeûne, la prière et l’aumône. A la base de tout il y a la Parole de Dieu, que nous
sommes invités à écouter et à méditer avec davantage d’assiduité en ce;e période. Je voudrais ici
m’arrêter en particulier sur la parabole de l’homme riche et du pauvre Lazare (cf. Lc 16,19-31). Laissons-nous
inspirer par ce récit si important qui, en nous exhortant à une conversion sincère, nous offre la clé
pour comprendre comment agir afin d’atteindre le vrai bonheur et la vie éternelle.
L’autre est un don
La parabole commence avec la présenta"on des deux personnages principaux ; cependant le pauvre y
est décrit de façon plus détaillée : il se trouve dans une situa"on désespérée et n’a pas la force de se
relever, il gît devant la porte du riche et mange les mie;es qui tombent de sa table, son corps est
couvert de plaies que les chiens viennent lécher (cf. vv. 20-21). C’est donc un tableau sombre, et
l’homme est avili et humilié.
La scène apparaît encore plus dramatique si l’on considère que le pauvre s’appelle Lazare : un nom
chargé de promesses, qui signifie littéralement «Dieu vient en aide». Ainsi ce personnage ne reste pas
anonyme mais il possède des traits bien précis ; il se présente comme un individu avec son histoire
personnelle. Bien qu’il soit comme invisible aux yeux du riche, il nous apparaît connu et presque familier,
il devient un visage; et, comme tel, un don, une richesse inestimable, un être voulu, aimé, dont Dieu se
souvient, même si sa condition concrète est celle d’un déchet humain (cf. Homélie du 8 janvier 2016).
Lazare nous apprend que l’autre est un don. La relation juste envers les personnes consiste à reconnaître
avec gratitude leur valeur. Ainsi le pauvre devant la porte du riche ne représente pas un obstacle gênant
mais un appel à nous convertir et à changer de vie. La première invita"on que nous adresse ce;e
parabole est celle d’ouvrir la porte de notre cœur à l’autre car toute personne est un don, autant notre
voisin que le pauvre que nous ne connaissons pas. Le Carême est un temps propice pour ouvrir la porte à
ceux qui sont dans le besoin et reconnaître en eux le visage du Christ. Chacun de nous en croise sur son
propre chemin. Toute vie qui vient à notre rencontre est un don et mérite accueil, respect, amour. La
Parole de Dieu nous aide à ouvrir les yeux pour accueillir la vie et l’aimer, surtout lorsqu’elle est faible.
Mais pour pouvoir le faire il est nécessaire de prendre au sérieux également ce que nous révèle l’Évangile
au sujet de l’homme riche.
Le péché nous rend aveugles
La parabole met cruellement en évidence les contradictions où se trouve le riche (cf. v. 19). Ce
personnage, contrairement au pauvre Lazare, ne possède pas de nom, il est seulement qualifié de
“riche”. Son opulence se manifeste dans son habillement qui est exagérément luxueux. La pourpre en
effet était très précieuse, plus que l’argent ou l’or, c’est pourquoi elle était réservée aux divinités (cf. Jr
10,9) et aux rois (cf. Jg 8,26). La toile de lin fin contribuait à donner à l’allure un caractère quasi sacré.
Bref la richesse de cet homme est excessive d’autant plus qu’elle est exhibée tous les jours, de façon
habituelle: «Il faisait chaque jour brillante chère» (v.19). On aperçoit en lui, de manière dramatique, la
corruption du péché qui se manifeste en trois moments successifs: l’amour de l’argent, la vanité et
l’orgueil (cf. Homélie du 20 septembre 2013).
Selon l’apôtre Paul, «la racine de tous les maux c’est l’amour de l’argent» (1 Tm 6,10). Il est la cause
principale de la corruption et la source de jalousies, li"ges et soupçons. L’argent peut réussir à nous
dominer et devenir ainsi une idole tyrannique (cf. Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n. 55). Au lieu d’être un
instrument à notre service pour réaliser le bien et exercer la solidarité envers les autres, l’argent peut
nous rendre esclaves, ainsi que le monde en"er, d’une logique égoïste qui ne laisse aucune place à
l’amour et fait obstacle à la paix.
La parabole nous montre ensuite que la cupidité rend le riche vaniteux. Sa personnalité se réalise dans
les apparences, dans le fait de montrer aux autres ce que lui peut se permettre. Mais l’apparence masque
le vide intérieur. Sa vie reste prisonnière de l’extériorité, de la dimension la plus superficielle et
éphémère de l’existence (cf. ibid., n. 62).
Le niveau le plus bas de ce;e déchéance morale est l’orgueil. L’homme riche s’habille comme un roi, il
singe l’allure d’un dieu, oubliant d’être simplement un mortel. Pour l’homme corrompu par l’amour des
richesses, il n’existe que le propre moi et c’est la raison pour laquelle les personnes qui l’entourent ne
sont pas l’objet de son regard. Le fruit de l’attachement à l’argent est donc une sorte de cécité : le riche
ne voit pas le pauvre qui est affamé, couvert de plaies et prostré dans son humilia"on.
En regardant ce personnage, on comprend pourquoi l’Évangile est aussi ferme dans sa condamna"on de
l’amour de l’argent : «Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il
s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent» (Mt 6,24).
La Parole est un don
L’évangile du riche et du pauvre Lazare nous aide à bien nous préparer à Pâques qui s’approche. La
liturgie du Mercredi des Cendres nous invite à vivre une expérience semblable à celle que fait le riche
d’une façon extrêmement dramatique. Le prêtre, en imposant les cendres sur la tête, répète ces
paroles : «Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière». Le riche et le pauvre, en
effet, meurent tous les deux et la par"e la plus longue du récit de la parabole se passe dans l’au-delà.
Les deux personnages découvrent subitement que «nous n’avons rien apporté dans ce monde, et nous
n’en pourrons rien emporter» (1 Tm 6,7).
Notre regard aussi se tourne vers l’au-delà, où le riche dialogue avec Abraham qu’il appelle «Père» (Lc
16, 24 ; 27) montrant qu’il fait par"e du peuple de Dieu. Ce détail rend sa vie encore plus contradictoire
car, jusqu’à présent, rien n’avait été dit sur sa relation à Dieu. En effet dans sa vie, il n’y avait pas de
place pour Dieu, puisqu’il était lui-même son propre dieu.
Ce n’est que dans les tourments de l’au-delà que le riche reconnaît Lazare et il voudrait bien que le
pauvre allège ses souffrances avec un peu d’eau. Les gestes demandés à Lazare sont semblables à ceux
que le riche aurait pu accomplir et qu’il n’a jamais réalisés. Abraham néanmoins lui explique que «tu as
reçu tes biens pendant ta vie et Lazare pareillement ses maux; maintenant ici il est consolé et toi tu es
tourmenté» (v.25). L’au-delà rétablit une certaine équité et les maux de la vie sont compensés par le
bien.
La parabole acquiert une dimension plus large et délivre ainsi un message pour tous les chrétiens. En
effet le riche, qui a des frères encore en vie, demande à Abraham d’envoyer Lazare les avertir ; mais
Abraham répond : «ils ont Moïse et les Prophètes ; qu’ils les écoutent» (v. 29). Et devant l’objection
formulée par le riche, il ajoute : «Du moment qu’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, même si
quelqu’un ressuscite d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus» (v.31).
Ainsi se manifeste le vrai problème du riche : la racine de ses maux réside dans le fait de ne pas écouter
la Parole de Dieu ; ceci l’a amené à ne plus aimer Dieu et donc à mépriser le prochain. La Parole de Dieu
est une force vivante, capable de susciter la conversion dans le cœur des hommes et d’orienter à
nouveau la personne vers Dieu. Fermer son cœur au don de Dieu qui nous parle a pour conséquence la
fermeture de notre cœur au don du frère.
Chers frères et sœurs, le Carême est un temps favorable pour nous renouveler dans la rencontre avec le
Christ vivant dans sa Parole, dans ses Sacrements et dans le prochain. Le Seigneur qui – au cours des
quarante jours passés dans le désert a vaincu les pièges du Tentateur – nous montre le chemin à suivre.
Que l’Esprit Saint nous aide à accomplir un vrai chemin de conversion pour redécouvrir le don de la
Parole de Dieu, être purifiés du péché qui nous aveugle et servir le Christ présent dans nos frères dans
le besoin. J’encourage tous les fidèles à manifester ce renouvellement spirituel en participant
également aux campagnes de Carême promues par de nombreux organismes ecclésiaux visant à faire
grandir la culture de la rencontre au sein de l’unique famille humaine. Prions les uns pour les autres afin
que participant à la victoire du Christ nous sachions ouvrir nos portes aux faibles et aux pauvres. Ainsi
nous pourrons vivre et témoigner en plénitude de la joie pascale.
Du Vatican, le 18 octobre 2016
Fête de Saint Luc, évangéliste»