Message
de Noël 2017 à la communauté chrétienne de Bangui et aux Hommes de bonne
volonté
« Le
peuple qui marchait dans la nuit, a vu se lever une grande lumière ; et sur les
habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi » (Is 9, 1). Cet extrait
de la prophétie d’Isaïe que nous venons d’écouter dans la première lecture de
la messe de cette nuit évoque non seulement la lumière resplendissante de Noël,
mais encore, le temps de l’Avent qui l’a précédé.
L’Avent a été l’expression de notre
cheminement, de notre quête profonde : « Après avoir, à bien de reprises et de
bien des manières, parlé autrefois aux pères dans les prophètes, Dieu, en la
période finale où nous sommes, nous a parlé à nous en un Fils qu’il a établi
héritier de tout, par qui aussi il a créé les mondes. (He 1, 1-2) » Il s’est
agi d’un temps d’une fécondité insoupçonnable tout au long duquel de nombreux
prophètes ont annoncé l’avènement de Noël. Éclairés par la foi, Sophonie[1] , Isaïe[2] et Jean-Baptiste[3] pour ne citer que ceux-là,
voyaient déjà poindre la venue du Messie et invitaient le peuple de Dieu à se
préparer à l’accueillir. Aujourd’hui encore, à leur écoute, durant tout le
temps de l’Avent, nous nous sommes évertués à labourer nos cœurs, à aplanir les
collines et les monts, à rendre droits les chemins tortueux qui s’y trouvent ;
nous nous sommes empressés et appliqués à rendre lumineuses nos églises, à y
dresser des crèches rivalisant de génie et de créativité ainsi que des symboles
brillants. Extérieurement et surtout intérieurement nous avons crié notre désir
de voir advenir le jour béni de Noël.
L’Avent, temps de grâce, a relié l’espérance
d’Israël marchant naguère dans les ténèbres à l’espérance de notre peuple qui,
aujourd’hui encore et de façon particulière, continue de vivre sans doute les
heures les plus pénibles de son histoire. C’est avec force que durant quatre
semaines nous avons crié : « viens, Seigneur Jésus ! » Notre cri n’a pas été vain,
car ainsi que l’annonce Saint Paul dès l’amorce de l’extrait de l’épître à Tite
que nous venons d’écouter : « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut
de tous les hommes. » (Tt 2, 11)
Avec la solennité de Noël que nous célébrons
cette nuit commence une nouvelle ère, celle de l’histoire de notre Rédemption
ainsi que l’atteste l’annonce joyeuse de l’Ange aux bergers : « Aujourd’hui
vous est né un Sauveur » (Lc 2, 11). Il s’agit d’un petit enfant, emmailloté
dans une mangeoire ; un être certes frêle encore, fragile et totalement
dépendant, mais remarquablement puissant : « son nom est proclamé
Conseiller-merveilleux, Dieu-Fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix. » (Is 9,
5)
Le
Seigneur, en prenant la condition humaine au sein de la Sainte Famille de
Nazareth, se fait solidaire de toutes nos familles humaines en général et en
particulier, la famille chrétienne qui le proclame seul et unique Seigneur et
Sauveur.
Noël, une famille qui accueille
Frères
et sœurs,
Joseph
et Marie sont indéniablement les témoins privilégiés de la Nativité. Dans un
premier temps, je voudrais que nous nous appuyions sur leur engagement pour
méditer le mystère de l’Incarnation comme une invitation qui nous est adressée
d’accueillir le Fils de Dieu en famille. En effet, aujourd’hui, l’Enfant Jésus
ne vient pas seulement habiter le cœur de chacun, mais il vient surtout mendier
l’hospitalité de nos familles et communautés. Sommes-nous disposés à
l’accueillir ? Avons-nous pris le soin de lui réserver une place dans nos
abris, fussent-ils étroits ? Sommes-nous conscients que ce Nouveau-né ne
grandira et ne fera lever sa semence d’amour, de justice et de paix que si nous
nous engageons à le faire vivre en déployant nos bras charitables et en lui
manifestant toute notre tendresse ? Ne l’oublions pas, à la fin des temps,
lorsque Jésus aura été instauré juge de l’univers, avant de nous autoriser ou
de nous refuser l’accès au royaume de son Père, il vérifiera notre pratique de
la charité vis-à-vis de sa personne. Au nombre des actes qui lui auront permis
de vérifier si oui ou non nous avons authentiquement été charitables, figure la
question de l’hospitalité : « j’étais étranger et vous m’avez accueilli » ou «
vous ne m’avez pas accueilli » (Mt 25, 31-46).
Joseph et Marie, quant à eux, se sont rendus
disponibles pour accueillir Jésus. D’abord ils ont chacun agréé le message de
l’Ange, Marie de porter le Sauveur dans son sein virginal (Cf. Lc 1, 26-38) et
Joseph de ne pas répudier son épouse et de la prendre chez soi (Cf. Mt 1,
18-24). Ensuite, il leur a fallu effectuer courageusement le trajet
menant de Nazareth à Bethléem pour s’y faire recenser conformément à l’édit de
l’empereur Auguste. Nous pouvons nous représenter cette scène en nous appuyant
sur les nombreuses fresques qui la dépeignent : Joseph et Marie cheminant
ensemble, l’époux veillant avec délicatesse sur sa bien-aimée dont la grossesse
est presque parvenue à terme. À travers l’évocation du voyage à Bethléem nous
pouvons voir que Saint Joseph manifeste une double responsabilité : celle de
l’époux qui s’engage pour la vie de son couple et celle du citoyen qui ne se
dérobe pas à ses devoirs. Celui que l’Eglise vénère comme patron des époux et
des travailleurs nous rappelle que la foi ne nous exempte pas de nos devoirs
civiques. Oui, c’est bien au cœur de nos cités que nous sommes appelés à
manifester la puissance transformatrice de la Parole de Dieu en accomplissant
convenablement nos justes devoirs sociétaux.
Lorsque
la sainte famille arriva à Bethléem, l’évangile nous rapporte qu’il n’y avait
pas de place dans la salle commune pour Marie sur le point d’accoucher. Il
arrive encore aujourd’hui que l’on ne fasse pas de place à Jésus dans nos cœurs
encombrés par les soucis du monde et qui ne peuvent par conséquent pas le
reconnaître. Saint Jean en fait la remarque dans son prologue : « Il est venu
chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn 1, 11).
Frères
et sœurs,
Jésus
naît dans la précarité. C’est, pour ainsi dire, la première annonce de sa
mission de communier à la misère du monde : « Or, pendant qu’ils étaient là, le
temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils
premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y
avait pas de place pour eux dans la salle commune. » (Lc 2, 6-7). La naissance
du Fils de Dieu dans la précarité est un baume, un message d’espérance et de
consolation particulièrement destiné à toutes les familles de Centrafrique et
d’ailleurs qui sont actuellement confrontées à d’énormes difficultés. Oui, nombreux
sont les parents qui doivent fuir pour sauver la vie des membres de leur
famille (cf. Mt 2, 13-23). Nombreuses sont les personnes déplacées, migrants,
veufs, veuves, orphelins, handicapés, enfants en situation de rue, hommes et
femmes âgés, malades mentaux qui souffrent de ne pas avoir de place dans « la
maison commune » de nos pays, de nos communautés et de nos familles. Enfin, on
dénombre par milliers aujourd’hui les enfants qui naissent dans des 6
conditions misérables. Jésus est avec eux et naît pour eux. Et nous, comment
assumons-nous notre responsabilité parentale dans un contexte de dénuement ?
Sommes-nous avec toutes ces personnes qui souffrent autour de nous ? Comment
les soutenons-nous et les accueillons-nous pendant ce temps de Noël ?
Frères et sœurs,
Si,
grâce à la foi, nous avons pu reconnaître en eux le visage de Jésus, nous
pouvons, par l’imitation de la Sainte Famille de Nazareth, être hospitaliers.
Pour nous, Noël amplifie le plaidoyer des pauvres de Yahvé pour un monde plus
juste, plus solidaire, plus charitable et plus hospitalier. À l’instar de Marie
et Saint Joseph, dociles, humbles et discrets aujourd’hui « ne fermons pas
notre cœur mais écoutons la voix du Seigneur » (cf. Ps 94). Nous aussi écoutons
le Seigneur qui nous invite à faire de la place dans nos cœurs et nos abris
pour que Jésus et notre prochain, quel qu’il soit, musulman, catholique,
protestant, expatrié, centrafricain de toute ethnie, étranger, puisse y trouver
place.
Oui,
dans nos familles, lieux privilégiés d’éducation, si on apprend aux enfants que
la haine, la méfiance, la violence et le repli sur soi doivent être la
meilleure manière d’être dans l’actuel Centrafrique, l’Incarnation de l’Enfant
Jésus risque alors d’y être mise en question et nous dérogerons alors à notre
vocation de construire un monde toujours plus fraternel, un Centrafrique
toujours plus hospitalier ainsi que l’a salué saint Jean Paul II lors de son
passage sur notre terre en 1985[4].
Je
voudrais, du fond du cœur, remercier et confier à la bienveillance du Seigneur
toutes les structures de l’État, toutes les personnes, toutes les familles,
toutes les paroisses, toutes les institutions de notre Eglise et des autres
Eglises et religions qui, durant ce terrible conflit, que ce soit ici à Bangui
ou à l’intérieur du pays, ont toujours fait de la place pour les personnes en
déplacement ou en difficulté. Je voudrais encore exprimer ma profonde gratitude
à nos mouvements, fraternités et groupes de prière, nos paroisses et aux
familles bienveillantes qui, répondant aux appels de notre Eglise locale, ont
accueilli des personnes en provenance de l’arrière-pays ou de pays étrangers
lors du passage du Saint Père, du Congrès sur la miséricorde et encore lors des
rentrées pastorales et autres évènements diocésains. Je voudrais rappeler à
tous que votre geste est évangélique et qu’à l’instar d’Abraham, en accueillant
l’étranger, vous avez sans doute accueilli des anges (Cf. He 13, 2). Soyez
bénis et comblés de la présence du Seigneur !
Frères
et sœurs, Dans le mystère de Noël, l’humanité entière accueille le Prince de la
paix, Celui que nous devons prendre pour référence. Multiplions et associons
nos efforts pour faire advenir une paix durable dans nos sociétés. Si nous
n’œuvrons pas pour que les familles vivent dans des conditions de plus en plus
décentes, nous pourrons susciter de nombreuses dérives : l’équilibre des
familles peut éclater. Nous devons créer des conditions pour que dans les
familles chacun puisse se réaliser. Aussi, à celui qui est accueilli, il
incombe de savoir se revêtir d’humilité pour intégrer la nouvelle famille sans
y semer la discorde ou le désordre. Comme pour le peuple d’Israël, le temps
vécu hors de chez soi peut être assimilé, par la foi, à un temps
d’apprentissage et de repentance, à un temps d’ouverture ; ce peut être une
occasion de conversion. À nous tous, il incombe de savoir que la charité
n’exclut pas la vigilance et le respect. Pour nos familles qui craignent que
l’accueil de déplacés et d’étrangers menace leur équilibre ou que la précarité
plus épaisse que jamais n’ébranle leur concorde, Noël est la fête de
l’espérance.
Noël, une famille qui espère
Oui, l’avènement du Fils de Dieu dans notre
histoire atteste que l’espérance fondée sur la foi ne trompe pas. Jésus est
présenté comme la lumière tant attendue qui vient évincer le règne des
ténèbres. Au nombre des ténèbres de notre société nous pouvons citer, avec la
misère, le sentiment de lassitude que d’aucuns ont exprimé lors des nouvelles
crises socio-militaires ces derniers temps. Un tel sentiment peut engendrer un
profond désespoir et par conséquent anéantir l’élan, le désir de s’engager pour
préparer un avenir meilleur.
Fête
de l’espérance, Noël est la lumière qui vient dissiper la tentation de
découragement qui menace dangereusement de nous plonger dans l’inaction et le
fatalisme. De nouveau je voudrais que nous puissions nous appuyer sur le
courage des membres de la Sainte Famille pour affermir notre espérance. La
discrétion et la docilité de Marie et de Joseph sont fondées sur leur foi en la
fidélité du Seigneur. Oui, la foi, nous montrent-ils de façon exemplaire,
implique courage et confiance fermes ; la foi tourne le regard vers l’avenir et
rassure de la réalisation de « l’ailleurs » que nous espérons. Joseph et Marie
cessent d’avoir peur et obéissent chacun à l’annonce faite par l’Ange parce qu’ils
croient que Celui qui vient est « Dieu avec nous » « Emmanuel » (Cf. Mt 1, 23)
et Dieu qui nous 10 sauve « Jésus » (Cf. Mt 1, 21). L’accueil du Prince de la
Paix devrait nous inciter à persévérer et à faire confiance dans les efforts
qui déjà se font. L’accueil de Jésus devrait nous inciter à ne pas être des
propagateurs de mauvaises nouvelles mais des témoins du bourgeon qui éclot des
cendres et des ruines de notre terre.
Frères
et sœurs,
Le
Seigneur ne nous a jamais abandonnés. Le lieu où naît le Roi de l’univers peut
certes paraître indécent mais, paradoxalement, c’est de cet endroit qu’il
attire à lui le monde entier. C’est vers la crèche que convergent les bergers
et les mages, symboles de l’humanité entière. Oui, du désespoir de nos cités
peut sortir du beau, du grand, du vrai. « Bangui devient la capitale
spirituelle du monde » disait le Saint Père lors de son passage chez nous[5] . Bénissons le Très Haut
dont la grandeur de l’amour ne cesse de nous surprendre. Gardons-nous de
mépriser notre situation contextuelle et de croire le Seigneur incapable de
nous visiter. Jésus ne naît pas ailleurs mais au cœur de notre quotidien, même
s’il est émaillé de laideurs. La venue du Fils de Dieu risque de nous paraître
abstraite si nous ne prenons pas conscience de cela. En cette soirée sainte,
Jésus vient réaliser l’annonce faite par Saint Paul aux chrétiens de Rome : «
Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? Le dénuement ? L’angoisse ? La
persécution ? La faim ? Le danger ? Le supplice ? En tout cela nous serons les
grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. » (Rm 8, 35.37).
Demandons
au Seigneur, par la puissante intercession de Marie, Notre Dame de l’Oubangui
et sous la garde de Saint Joseph, de combler nos familles des grâces
innombrables de la venue de l’Enfant-Jésus. Que sa présence travaille notre
monde à la manière d’un ferment afin qu’y croissent plus de justice, plus
d’amour, de paix et d’espérance, maintenant et toujours. Amen !
D.
Card. NZAPALAINGA