lundi 29 août 2016

Tchad : quelle forme doit prendre la société civile? (par Pascal Djimoguinan)

            Le monde politique est sur le plan mondial traversé par une crise qui remet en question tout l’équilibre aussi bien sur le plan diplomatique que sur les concepts politiques qui se sont constitués le long des âges. Il est dès lors difficile de distinguer le légitime, la souverain, l’insurrection, la rébellion, l’intégrité territoriale etc.
            L’Afrique entière, notamment le Tchad, n’échappe pas à ce chaos et il y est difficile de distinguer les rôles des partis politiques de ceux de la société civile. C’est donc une gageure de dire quelle forme la société civile doit prendre aujourd’hui en Afrique.
            En fait, qu’est-ce que la société civile ? Quelle forme peut-elle prendre au Tchad ?
            Il faut d’abord partir de la formation du concept pour voir la forme qu’il lui faut inventer aujourd’hui au Tchad.
Le concept « société civile » se retrouve  dans sa forme élaborée dans Les principes de la philosophie du droit de Hegel[1]. Ce livre qui comporte trois parties dont les deux premières traitent du droit abstrait et de la moralité subjective. C’est la troisième partie qui aborde la question de la société civile en traitant de la moralité objective.

Ce qui tient à cœur Hegel, c’est l’Etat, qui pour lui, « est la figure que prend ultimement la réalité éthique, autrement dit l’Esprit selon son « objectivité » »[2] achevée. Pour y arriver, d’autres moments sont nécessaires à savoir la famille, la société civile et enfin l’Etat.
Le premier moment dans la structure éthique est la famille qui est la sphère sociale, l’Esprit en s’extériorisant, s’objective. La famille  représente ainsi pour Hegel l’universel dans son premier moment logique d’immédiateté. Les différents membres de la famille sont unis par les liens du sentiment, unis par les liens de l’amour. Mais la famille contient en elle-même les germes de sa dissolution. Malgré l’unité de la famille ses différents membres sont appelés à avoir leurs propres plans de vie, leurs propres projets. L’universalité de la famille va connaître sa négation dans l’émergence de la particularité. Cette négation sera cependant niée dans la société civile.
Arrivés à la maturité les membres de la famille prennent leur propre indépendance et entrent alors en compétition dans le monde économique. Ce monde est constitué d’individus intelligents et responsables, libres de toute attache irrationnelle de la tribu. C’est aussi le monde des affaires dans toute sa complexité avec les différentes relations que cela implique. La société civile est donc un système complexe  d’individus qui s’organisent pour satisfaire leurs besoins. Toute cette organisation ne peut vivre par elle-même à cause de sa complexité.  Elle a donc besoin d’une instance qui soit capable de l’organiser et de l’administrer. C’est ici qu’il faut qu’apparaisse le troisième moment, l’Etat. Si la famille reposait sur des sentiments, la société civile doit, quant à elle, répondre aux besoins extérieurs et objectifs des hommes.
l’Etat est ce qui réalise la synthèse de l’affectivité familiale et des besoins extérieurs des hommes dans une dialectique. Dans l’Etat, la conscience de soi va s’élever au niveau de la conscience de soi universel. Il faut ici comprendre que l’Etat n’est pas un universel abstrait n’ayant pas de lien avec ses membres ou n’ayant qu’un rapport conflictuel avec eux. L’Etat existe en et par ses membres. Plus encore, l’Etat permet à ses membres de s’élever au-dessus de leur pure particularité en participant à sa vie. L’Etat qui est une unité organique est en même temps une universalité concrète qui existe en et par des particuliers qui sont distincts les uns des autres.
La société civile apparaît donc chez Hegel comme moment de la moralité objective qui doit être dépassé dans l’Etat[3].
            Nous avons vu que la société civile est un système complexe d’individus qui s’organisent pour satisfaire leurs besoins. Toute cette organisation ne peut vivre par elle-même à cause de sa complexité.  Elle a donc besoin d’une instance qui soit capable de l’organiser et de l’administrer. Cela signifie que nous avons, par la société civile, des individus dont l’intérêt est la satisfaction de leurs besoins. Les besoins peuvent être de tous ordres, économiques, culturels, religieux, liberté… Ainsi, il va y avoir des organisations ou des groupes pour y arriver. Ce sont dont les différentes organisations au niveau de la société (syndicats, associations diverses, groupes religieux, etc.). Leur objectif est la satisfaction des besoins dont nous avons parlés. Contrairement à la famille qui est liée par le sentiment, le but de la société civile est de répondre aux besoins extérieurs et objectifs des hommes. Cependant la société civile n’est pas une fin en soi. Il faut l’Etat pour que se fasse la synthèse de ce que représente la famille d’un côté et la société civile de l’autre, à savoir l’affectivité et les besoins extérieurs.
            Il faut remarquer que la société civile a son travail propre. Ce n’est pas à elle de prendre la place de l’Etat. Il faut donc pour cela que ceux qui sont chargés de le faire puissent bien faire le travail. Nous savons que dans une démocratie, les trois pouvoirs puissent, chacun à sa place faire son travail, le l’exécutif, le législatif et le judiciaire. La société civile peut dénoncer le mauvais fonctionnement de ces pouvoirs mais ne jamais prendre leur place. Les partis politiques, surtout ceux de l’opposition doivent eux aussi savoir où se trouve leur travail et ne pas laisser l’arène vide.
            C’est lorsqu’il y a une confusion dans les prérogatives de chacun que l’anarchie peut s’instaurer et la mauvaise gouvernance s’installer.
            Voici le temps de mettre les compteurs à zéro et œuvrer pour un avenir plus clair. Il faut sans doute que les partis politiques cessent de briller par leur absence dans le domaine qui est le leur pour que la société civile puisse retrouver sa place. Il y va de l’intérêt de tous que le chaos longtemps orchestré pour les différents acteurs de la société disparaisse. Peuple tchadien, debout et à l’ouvrage !!!




[1] HEGEL, Principes de la philosophie du droit, trad. André Kaan, Gallimard, 1989.
[2] JARCZYK Gwendoline, LABARRIERE Pierre-Jean, Le syllogisme du pouvoir, y a-t-il une démocratie hégélienne ?, Aubier, 1989, p 263.
[3] Il faut signaler que ce qui intéresse Hegel, c’est le développement dialectique de l’Etat et pour ce faire, il a besoin des concepts de la famille et de la société civile comme moments. Les deux persistent donc dans l’Etat mais il serait faux de dire que la société civile ait jamais existé concrètement comme telle.

samedi 27 août 2016

LU POUR VOUS/TCHAD - Nomination de l’Archevêque de N’Djaména

Le Saint-Père François, en date du 20 août 2016, a nommé Archevêque de l’Archidiocèse de N’Djaména, au Tchad, S.Exc. Mgr Edmond Djitangar, jusqu’alors Evêque de Sarh.
S.Exc. Mgr Edmond Djitangar est né le 2 novembre 1952 à Bekoro, dans le Diocèse de Doba. Après avoir fréquenté le Petit Séminaire St. Pierre de Sarh, il a achevé ses études de Philosophie et de Théologie aux Grands Séminaires de Nkolbison (Yaoundé) et de Koumi (Burkina Faso).
Il a été ordonné prêtre le 30 décembre 1978. Il a obtenu une Licence en Ecriture Sainte à l’Institut pontifical biblique de Rome. Revenu au Tchad en 1985, outre à son service pastoral dans un certain nombre de Paroisses, il a également revêtu les fonctions d’enseignant en Ecriture Sainte, de Directeur du Centre diocésain de formation des Catéchistes et de Vicaire général de Sarh.

Elu Evêque du Diocèse de Sarh le 11 octobre 1991, il a reçu la consécration épiscopale le 2 février 1992. En octobre 2009, il a été Secrétaire spécial de la II° Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Evêques. (SL) (Agence Fides 26/08/2016)

mardi 23 août 2016

Et si la polygamie africaine n’était qu’un leurre (par Pascal Djimoguinan)

            Il est courant d’entendre dans toutes les discussions les éloges de la polygamie africaine. Pour beaucoup, ce serait une valeur qui sort du fond des âges et qu’il faudrait absolument garder. On n’a jamais cherché à préciser de quoi on parlait exactement, ce qui fait que chaque fois que l’on parle de la polygamie africaine, on est en plein dans l’idéologie. La polygamie africaine ne serait-elle pas en réalité sinon une grande supercherie, au moins un pis-aller.
            Plutôt que de s’engager dans les méandres d’une discussion qui serait d’avance biaisée, relevons tout simplement quelques éléments que l’on rencontre dans le traitement des épouses là où il y a la polygamie. Nous allons cibler les mongos, au sud du Tchad dans le Logone Oriental pour notre étude.
            De prime abord, la première épouse jouit d’un statut particulier, privilégié. C’est pratiquement la seule épouse dont les cérémonies des épousailles sont entièrement célébrées.
            Après la cérémonie de la dot, lorsque la première épouse est accompagnée chez son époux, celui-ci doit payer avant que la famille de la femme n’installe le foyer qui donnera à celle-ci le droit de faire la cuisine dans son foyer. Elle devient la titulaire du foyer. Désormais, si le mari épouse une autre femme, pour que le foyer soit installé, c’est à la première femme qu’il faudra payer et il faut son accord pour que cela se fasse. Sans cela, la seconde épouse ne sera toujours que comme de passage, sans être définitivement installée.
            Par son mariage, la première épouse acquiert un droit sur le grenier du mari. Elle seule, parmi les autres épouses, a le droit d’entrer dans le grenier et de distribuer le céréale qui s’y trouve.
            Il y a bien de règles à propos des champs. La première femme doit être la première à aller au champ avant que les autres ne puissent s’y rendre.
            Au moment des récoltes, même dans les champs des épouses, celles-ci ne peuvent pas commencer la cueillette du produit sans qu’elles n’aient demandé à la première épouse de venir commencer symboliquement en ramassant quelques gombos.
            A la mort de la première épouse, ses droits ne passent pas automatiquement à la seconde épouse. Il faudra que celle-ci puisse payer les droits de regard sur les greniers et sur les partages des récoltes à la famille de la défunte pour pouvoir officier comme titulaire.
            Comme nous pouvons le constater, c’est improprement que l’on parle de polygamie dans la culture mongo ; finalement, le mari n’a qu’une seule femme et les autres sont des concubines officielles. Au lieu de polygamie, on devrait plutôt parler de monogamie « élargie ».