« …
UN TEMPS POUR LA PAIX… »
(Qo 3,8)
Message
des Évêques de Centrafrique à l’Église Famille de Dieu, aux hommes et aux
femmes de bonne volonté
Chers frères et sœurs dans le Christ
et vous tous hommes et femmes de bonne volonté,
Au début de cette nouvelle année, nous, Évêques de Centrafrique, vous adressons
nos vœux de paix, de joie, de miséricorde et de réconciliation de la part de
Dieu le Père et de Jésus-Christ notre Seigneur, riche en pardon et en
miséricorde. Réunis en session ordinaire du 06 au 13 janvier 2016, nous nous
sommes donné l’occasion d’échanger autour des questions concernant la vie du
pays et de l’Église.
De ce partage, il est ressorti qu’une
lueur d’espoir commence à surgir dans notre Pays. En effet, au bout de trois
ans d’obscurité, de déchirement et de haine, nous voici à bord de la pirogue
d’Espérance avec le Christ, en train de traverser le fleuve de nos souffrances
vers l’autre rive : la rive de la réconciliation, de la paix, du vivre
ensemble, du pardon et du bonheur.
C’est dans ce contexte de sortie de
crise que le Pape François est venu chez nous en « pèlerin de paix… et en apôtre de l’Espérance »[1].
En ouvrant la Porte Sainte du Jubilé Extraordinaire de la Miséricorde à
Bangui, alors proclamée « capitale spirituelle du monde », le
Saint-Père nous a invités à ouvrir une nouvelle page de l’histoire de notre
pays et de notre Église, à nous tourner vers l’avenir. Mais comment construire
cet avenir si nous ne nous dépouillons pas dès maintenant du vieil homme ?
I - LA SURVIVANCE DU VIEIL HOMME
L’arrivée
du Saint-Père a inauguré un esprit nouveau. Des murs de séparation tombent. Les
tendances de l’homme ancien laissent progressivement place à l’émergence de
l’homme nouveau. Néanmoins, les survivances de l’homme ancien persistent au regard
des réalités que continuent à vivre nos compatriotes.
Sur le plan sécuritaire, la situation tarde à se normaliser.
La culture de la violence demeure. Les pillages, les braquages, les exécutions
sommaires, les prises d’otage persistent. Récemment encore plusieurs maisons
ont été détruites notamment dans certains quartiers de Bangui, Pawa, Mobaye, Mbrès,
Bambari. Des maisons de particuliers sont encore occupées par la force. Dans l’est du Pays, les TONGO-TONGO de Joseph
KONI de la Lord Resistance Army (LRA) n’ont pas cessé d’enlever et d’emporter
des hommes, des femmes et des enfants utilisés comme porte-bagages, esclaves
sexuels et enfants soldats. La libre circulation des biens et des personnes est
encore entravée par l’érection des barrières illégales. Des crimes odieux sont
encore perpétrés en toute impunité. Des personnes sont enterrées vivantes pour
raison de sorcellerie. Les tensions entre éleveurs et agriculteurs se terminent
par la destruction des champs et le vol des troupeaux.
La fragilité de ses
situations sécuritaires se ressent gravement sur les conditions sociales. Les
nombreux déplacés internes dans nos villes et villages et les refugiés dans les
pays limitrophes en témoignent. Beaucoup
d’écoles situées dans les provinces
n’ont pas réouvert leurs portes. Des centres
de santé détruits ne sont plus en capacité de fournir les soins de santé
aux populations.
Le rétablissement de
l’autorité de l’État sur toute l’étendue du territoire demeure une question de
grande préoccupation.
Certains fonctionnaires de l’État, tels que des magistrats, des administrateurs
civils, des forces de défense et de sécurité nationale (gendarmes et policiers)
ont été empêchées par des groupes armés
de prendre ou d’exercer légitimement leurs fonctions. D’autres sont enlevés comme le sous-préfet et le
maire de Baboua. Depuis juillet, ses derniers sont toujours entre les mains de
leurs ravisseurs sans qu’on ne sache exactement ce qu’ils sont devenus. Tout un
pan du territoire national se trouve encore
sous la coupe des bandes armées qui y font la loi, contrôlant les ressources qu’elles
exploitent à leur profit.
La
Lord Resistance Army (LRA) de Joseph KONI, les différentes factions de la
SELEKA et des ANTIBALAKA, et la Révolution pour la Justice (RJ) se sont partagées
nos régions. Et comme si cela ne suffisait pas, d’autres groupes armés plus illuminés agitent l’épouvantail de la
partition du pays. Ce fut récemment le cas de cette prétendue et
aventureuse république du Dar el Kouti ou
du Logone qui a érigé son drapeau peu avant les consultations
référendaires du 13 décembre 2015.
Voilà
le contexte dans lequel nous sommes conviés à écrire les nouvelles pages de
notre histoire. Car tout centrafricain, comme le souligne le saint Père « doit sans cesse rompre avec ce
qu’il y a encore en lui de l’homme ancien, de l’homme pécheur, toujours prêts à
se réveiller à la suggestion du démon (…) pour l’entrainer à l’égoïsme, au
repli sur soi, à la méfiance, à la violence et à l’instinct de destruction, à
la vengeance, à l’abandon et à l’exploitation des plus faibles… »[2].
Dans son homélie au stade, le Pape
François nous a aussi exhortés en ces termes : « Et vous chers Centrafricains,
vous devez surtout regarder vers l’avenir, et, forts du chemin parcouru, décider résolument de franchir une
nouvelle étape dans l’histoire chrétienne de votre pays, vous élancer vers de
nouveaux horizons, avancer plus au large en eau profonde ». Cet appel,
nous semble-t-il, a été entendu. Il résulte de cet appel une forte mobilisation
de la population pour l’enregistrement sur la liste électorale, le referendum
constitutionnel du 13 décembre et surtout les élections présidentielles et
législatives du 30 décembre 2015. De nombreux centrafricains ont ainsi manifesté
leur détermination pour le changement et le renouveau en allant massivement
remplir leur devoir civique. C’est ici le lieu de saluer leur patriotisme et leur courage.
La campagne électorale et le vote se
sont globalement bien déroulés malgré quelques imperfections. Nous invitons la Cours Constitutionnelle de
la Transition à prendre en considération les différentes requêtes pour éviter
des frustrations. Nous exhortons les candidats et leurs partisans au calme,
à la maîtrise de soi et au respect réciproque tels que voulus par le code de bonne conduite. Le peuple centrafricain est déjà trop
éprouvé et assez traumatisé. Offrons-lui le temps de faire la paix et d’aspirer
au développement.
En cette période d’entre les deux tours
des élections, l’heure est aux alliances
afin de nouer des liens de circonstance pour la conquête du pouvoir suprême.
Nous prions pour que ces alliances se construisent en vue de l’intérêt commun
du peuple. Car une alliance qui est motivée par la seule intention d’avoir un
poste, de l’argent, ou d’accéder facilement au marché de l’État, de préserver certaines
affaires, serait bien fragile, stérile et finalement nocive. Faites donc bien
attention aux alliances-pièges qui tiennent ensuite le Président en otage
le long de son mandat.
C’est
à ce prix que pourra arriver un président plus libre et donc plus disposé à écouter
le peuple, de servir les intérêts de la nation en premier et non seulement les
intérêts d’un petit groupe voire ceux des puissances occultes. C’est aussi à ces conditions que l’homme
ancien fera définitivement place à l’homme nouveau pour un Centrafrique
renouvelé. Un Centrafrique qui, s’appuyant sur les acquis de la visite du Pape
François s’investit dans la cohésion sociale pour un avenir de liberté et de mieux-être.
III - VERS UNE AUBE NOUVELLE
Chers
frères et sœurs en Christ,
et vous tous hommes et femmes de bonne volonté, l’Espérance est permise en Centrafrique,
le passage sur l’autre rive est en cours. C’est cela qui se voit aussi par ces
élections. Mais soyons-en conscients, cette aube nouvelle ne sera pas
uniquement l’œuvre des nouvelles autorités du pays. Elle sera le fait d’un
nouvel esprit à promouvoir en notre sein, un nouvel esprit fait de miséricorde,
de compassion, de pardon, de réconciliation, de justice et de paix. Il s’agit
de changer, de rompre avec des mauvaises habitudes, des manières de voir les
autres et les choses. C’est pourquoi nous voulons nous adresser plus
particulièrement à certains groupes et
entités.
Les Jeunes :
Vous êtes les plus nombreux et toujours
en première ligne sur le terrain. Ne laissez plus personne venir à vous avec
les mots qui divisent et les instruments qui donnent la mort. Vous avez montré
à l’occasion de la visite du Pape que vous êtes capables de faire de bonnes
œuvres. C’est vous, jeunes chrétiens et musulmans, qui aviez nettoyé les
caniveaux, enlevé les herbes, jalonné les routes pour assurer le service
d’ordre, porter de l’eau pour le rafraîchissement des foules, contribuer activement
à la sécurisation de la visite du Pape. Voilà votre chemin : le chemin de
la formation, de l’apprentissage d’un métier, de solidarité dans le bien,
d’amour de votre pays et de secours à vos compatriotes.
Vous n’êtes pas seulement l’avenir. Vous
êtes déjà le présent de votre pays dans l’amitié et la collaboration avec vos
ainés. Rappelez-vous de ce que le Pape François vous a dit ici sur le parvis de
la Cathédrale et mettez le en pratiques : « Vous devez être courageux… Courageux en pardon, courageux en
amour, courageux pour faire la paix. Prenez courage ! … et résistez à la
tentation de fuir votre pays. Devenez artisans de paix par la prière et le
pardon ».
Les leaders et
combattants des groupes armés :
Vous devez certainement savoir « qu’il y a un moment pour tout et un temps
pour toute chose sous le ciel …Un temps pour la guerre et un temps pour la
paix » (Qo 3,1.8). Nous avons amorcé un nouveau tournant. Le moment
est venu de déposer les armes. Laissez-vous toucher par cet appel du Pape
François qui dans son homélie du 29 novembre 2015 à la cathédrale de Bangui, invitait
tous ceux qui utilisent injustement les armes de ce monde à « déposer ces instruments de
mort … » et à s’armer
« plutôt de la justice, de l’amour et de la miséricorde, vraie gage de
Paix ». Nous rendons grâce à Dieu parce que vous êtes de plus en plus
nombreux à écouter cet appel et à remettre votre glaive dans le fourreau.
Les déplacés :
Nous savons à quel point votre
situation est difficile et compréhensible. Beaucoup d’entre vous ne peuvent pas
encore regagner leur maison parce que certains quartiers et certains villages ne
sont pas tout à fait sécurisés. D’autres n’ont même plus de maison. Certains
ont tout perdu. Toutefois chers frères et sœurs, il y a une dure vérité à
laquelle vous devez vous confronter. Vous ne pouvez pas indéfiniment rester
dans ces abris de fortune. Nous vous exhortons à vous ouvrir à l’Espérance, reprendre
foi en Dieu et en vous-mêmes, en tant qu’enfants de Dieu capables de vous
relever. Repartir à zéro est une épreuve. Mais c’est aussi une vraie école de
la vie, une école de foi. Nous invitons le Gouvernement et la Communauté
internationale à conjuguer leurs efforts pour aider nos frères et sœurs déplacés
à regagner leurs maisons pour vivre dans la dignité.
La communauté nationale :
Musulmans, catholiques, protestants,
adeptes de religions traditionnelles, hommes et femmes de bonne volonté, à
l’occasion de la visite du Pape François, vous vous êtes impliqués dans les
préparatifs et le déroulement de ce grand événement dans l’unité. Un esprit
nouveau est né. Les murs des « supposés enclaves » sont tombés. Laissons
ces portes ouvertes. Ne cédons plus aux manipulations qui poussent aux affrontements intercommunautaires. Nous
compatissons aux souffrances des familles éprouvées et nous souhaitons que justice
leur soit rendue.
La Communauté Internationale :
Nous vous remercions pour votre engagement
aux côté de la Centrafrique sur les plans politique, militaire et humanitaire.
Grâce à votre contribution, la visite du Pape, le referendum constitutionnel et
le premier tour des élections ont pu se dérouler dans le calme. Nous espérons
que vous continuerez à soutenir les efforts de stabilisation et du
développement de notre pays.
Les Autorités de la Transition :
Nous vous remercions pour l’engagement
et le sacrifice consentis pour la période de la transition et l’implication
dans les préparatifs de la visite du Pape qui a été un succès et une fierté
nationale.
Chers
frères et sœurs en Christ,
hommes et femmes de bonne volonté, voici venir les temps nouveaux, temps de
miséricorde et de réconciliation, de pardon et de paix. Accueillons ce moment
favorable pour notre renouvellement et le renouveau de notre pays.
Confions
notre pays à la grâce et à la miséricorde de
Notre Dieu qui est Père, Fils et Saint Esprit, par l’intercession de
l’Immaculée Conception, Reine de la Paix et Mère de Centrafrique.
Donné
en la fête du Baptême du Seigneur
le 10 janvier 2016
Mgr Dieudonné NZAPALAINGA
Archevêque de Bangui
Président de la CECA
Mgr Nestor Désiré NONGO AZIAGBIA
Évêque de Bossangoa
Vice-Président de la CECA
Mgr Guerrino PERIN
Évêque de M’Baïki
Mgr Cyr-Nestor YAPAUPA
Evêque d’Alindao
Mgr Edouard MATHOS
Evêque de Bambari
Mgr Denis AGBENYADZI
Evêque de Berberati
Mgr Juan José AGUIRRE
Évêque de Bangassou
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Mgr
Thadeusz KUSY
Évêque
de Kaga-Bandoro
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