MESSAGE
DES EVEQUES DE CENTRAFRIQUE À L’EGLISE FAMILLE DE DIEU AUX HOMMES ET AUX FEMMES
DE BONNE VOLONTE « DE TOUTES LES NATIONS, FAITES DES DISCIPLES…» (Mt 28,19)
1. Chers frères et sœurs et
vous tous hommes et femmes de bonne volonté, que le Seigneur vous bénisse et
vous garde. Qu’il fasse briller sur vous son visage et qu’il vous apporte la
paix (cf. Nb 6,22-27).
2. Nous, évêques de
Centrafrique, réunis en session ordinaire du 06 au 12janvier 2020, dans le
contexte de la célébration des 125 ans d’évangélisation en Centrafrique, sommes
fidèles au rappel du mandat missionnaire fait par le pape François pour le mois
missionnaire extraordinaire d’octobre 2019 : « Baptisés et envoyés, l’Eglise du
Christ en mission dans le monde ». Conscients de notre responsabilité pastorale
à la lumière de la crise sociopolitique en République Centrafricaine, nous
voudrions porter un regard sur la vie missionnaire de l’Eglise et livrer un message
d’espérance, de paix et d’éveil de conscience.
I
– REGARD SUR L’ÉVANGELISATION EN CENTRAFRIQUE
3. Après 125 ans d’évangélisation, nous
rendons grâce à Dieu pour son œuvre de salut dans la vie du peuple
centrafricain à travers l’engagement des hommes et des femmes de foi. Nous
rendons hommage à tous les missionnaires, religieux et religieuses, laïcs, dont
le témoignage de foi et de dévouement a été et reste encore un modèle dans
l’édification des communautés ecclésiales. Aussi, nous nous inclinons devant la
mémoire de ceux et celles qui ont suivi le Christ au calvaire et ont porté en
leur corps ses souffrances, comme martyrs. Que le grain de blé, qu’ils sont
devenus, porte de bons fruits en abondance pour la plus grande gloire de Dieu
et le salut de notre peuple.
4. Aujourd’hui, c’est nous que Jésus appelle à
participer à son autorité (cf. Mt 28,18-20), à sa prédication (cf. Mt 4,17 ;
10,7), à sa puissance d’amour (Mc 3,14-15), à son ouverture à toutes les
nations (cf. Lc 24,47-49), à la vie éternelle (cf. Mt 9,13 ; 11,29 ; Jn 6,68).
En tant que disciples, nous sommes soumis à l’autorité du Christ et nous ne
pouvons pas nous « soustraire au devoir suprême » d’annoncer la Bonne Nouvelle
du salut à tous les peuples sans MessagCECA2020Janvier2 discrimination (Redemptoris
Missio, 2). Cette annonce permet de faire connaitre le Dieu de Jésus Christ qui
est AMOUR et de libérer l’homme de l’idolâtrie mensongère qui pervertit, le
conduit au désespoir et l’amène souvent à troquer la vérité de Dieu contre le
mensonge, à adorer et servir la créature de préférence au Créateur (cf. Rm
1,25).
5. Le Concile Vatican II nous rappelle le
caractère missionnaire de l’Eglise en ces termes : « Dans son pèlerinage,
l’Eglise est, par nature, missionnaire, puisqu’elle-même tire son origine de la
mission du Fils et de la mission du Saint Esprit selon le dessein de Dieu le
Père » (Ad Gentes, n°2). Par conséquent, quand nous choisissons de suivre le
Christ comme notre unique Sauveur, nous nous engageons à être ses vrais témoins
dans la vie quotidienne. C’est ce que rappelait le Pape saint Jean Paul II dans
son homélie lors de sa visite apostolique en Centrafrique en 1985 : « Les
chrétiens doivent être au premier rang de ceux qui éduquent au sens du bien
commun, par-delà les intérêts particuliers, et qui y coopèrent eux-mêmes. Ils
auront à cœur d’acquérir une vraie compétence, d’accomplir consciencieusement
le travail de leur profession, et, s’ils ont part à des charges publiques, de
s’en acquitter pour servir tous les compatriotes, surtout les plus démunis,
sans accepter le favoritisme, l’intolérance entre groupes ethniques, la
corruption…» (Jean Paul II, Homélie pendant la Messe à Bangui, 14/08/1985).
Sommes-nous vraiment aujourd’hui au premier rang de ceux qui construisent ou de
ceux qui détruisent, de ceux qui rassemblent ou de ceux qui divisent, de ceux
qui sèment l’amour ou de ceux qui attisent la haine ?
II
– NOS ENGAGEMENTS
6. Chers frères et sœurs,
comme vous le savez, nos célébrations liturgiques dynamiques et joyeuses
rassemblent de nombreux fidèles qui sont actifs dans les communautés
ecclésiales de base, les mouvements, les fraternités, les groupes et qui
animent la vie de nos paroisses manifestant ainsi notre manière d’être en
Eglise aujourd’hui. Nous bénissons le Seigneur pour son Esprit qui guide
l’Eglise en Centrafrique dans ses engagements pour la justice, les droits de
l’homme, l’amélioration des conditions de vie des populations et dans le
règlement nonviolent des conflits surtout aux pires moments de notre histoire.
7. Toutefois, nul n’ignore que
beaucoup reste à faire pour le relèvement effectif de notre pays. Le conflit
armé qui y sévit avec toutes ses conséquences dramatiques fait paraître des
contre-témoignages dans notre vie. Certains chrétiens séparent leur vie professionnelle
de leur vie de foi. D’autres mélangent des pratiques magico-fétichistes avec
les célébrations sacramentelles. D’autres encore se laissent attirer par des
sectes et des sociétés secrètes (francmaçonnerie, Rose croix…). Enfin, certains
délaissent les grandes valeurs d’unité, MessagCECA2020Janvier3 dignité,
travail, respect, solidarité, honnêteté au profit du gain facile et des
intérêts personnels.
8. Où en sommes-nous dans le contrat social
qui nous lie en tant que fils et filles de la République Centrafricaine ? Des
engagements ont été pris pour la justice, en insistant sur l’impunité et la
tolérance zéro (cf. Forum de Bangui en 2015). Des mécanismes judiciaires ont
été mis en place. À quand l’effectivité de la Cour Pénale Spéciale (CPS) et de
la Commission Vérité, Justice, Réconciliation et Réparation (CVJRR) en vue de
la justice, de la réparation en faveur des victimes et d’une réconciliation
durable ? Par ailleurs, nous nous interrogeons sur l’effectivité de l’autorité
de l’Etat déployée à l’intérieur du pays. Des services sensibles tels que
l’éducation, la santé, les structures de développement agropastorales, les
infrastructures routières manquent cruellement. Même si l’année académique
s’est mise en marche, la baisse de niveau scolaire est inquiétante. Comment
peut-on se complaire avec la « politique de maîtres parents » ou le choix d’une
éducation au rabais ? Et pourtant, on entend dire qu’il y a des financements
octroyés pour le relèvement socio-économique de notre pays (RCPCA). A quoi
servent tous ces fonds ? Et qui en profite ?
9. En ce début d’année
électorale, les préoccupations de nos concitoyens sont réelles. Même si des
efforts sont déployés pour réduire la violence, nous vivons dans un contexte
d’insécurité, de peur et d’angoisse. En dépit des tentatives de désarmement,
beaucoup d’armes lourdes et légères circulent encore dans le pays au vu et au
su de tous. Les récents événements dramatiques d’Alindao, Km 5 à Bangui, Birao,
Amdafock montrent que les entrepreneurs de la guerre n’ont pas encore dit leur
dernier mot. Finalement, à qui profite le business de la guerre qui est
florissant en Centrafrique ?
10. Nous apprécions les
efforts du Gouvernement pour la restructuration des Forces de Sécurité
Intérieure (FSI) et des Forces Armées Centrafricaines (FACA). Mais comme la
solution au conflit armé en Centrafrique n’est pas seulement militaire, nous
nous interrogeons : à quand la formation de qualité et l’intégration massive
d’instituteurs, de professeurs, d’infirmiers et de médecins ? Face à ces contrastes
et ces grands chantiers, chers frères et sœurs, comment allons-nous retrouver
notre identité de fils et filles de Dieu et renouveler notre engagement à
assainir l’environnement spirituel, social et politique de notre pays ?
III
– EXHORTATIONS
Aux
Agents pastoraux
11. Vous êtes avant tout des
animateurs et acteurs de la vie spirituelle de l’Eglise. Nous vous exhortons à
la fidélité aux grâces baptismales et aux enseignements chrétiens : plus
concrètement, n’utilisez pas le nom de Dieu pour servir vos intérêts personnels
le plus souvent liés à l’argent. Soyons tous des hommes et des femmes de prière
afin de garder nos lampes allumées pour dissiper les ténèbres qui nous
entourent. Ayons le courage évangélique et les vertus héroïques qui permettent
de prendre des décisions et de poser des actes en faveur du bien même au risque
de notre vie. Engageons-nous à protéger les enfants et les personnes
vulnérables avec amour. Que nos paroles et nos actions donnent plus de saveur à
notre société et fassent grandir le peuple de Dieu.
Aux
communautés chrétiennes
12. Le disciple de Jésus
répond à un appel eschatologique, c’est-à-dire une invitation à participer au
service du Règne de Dieu (cf. Mc 1,15). Le «règne de Dieu n'est pas affaire de
nourriture ou de boisson, il est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint »
(Rm 14,17). Apprenez à travailler pour le bien commun. Faites valoir vos
compétences dans les différents domaines de la vie et de manière particulière
dans la gestion des biens temporels.
13. Soyez de vrais disciples
du Christ. Ne vous laissez ni attirer, ni manipuler par ceux qui prétendent
être les nouveaux sauveurs ou des libérateurs du peuple centrafricain. Certains
sont des vendeurs d’illusions et ne font que de fausses promesses de
prospérité, mais en réalité ils cherchent leurs intérêts égoïstes. Chers frères
et sœurs, soyons vigilants en faisant preuve de discernement et de fidélité au
Christ pour ne pas adopter des modes de vie contraires à l’éthique chrétienne.
Nous vous encourageons à exercer vos devoirs citoyens en allant voter lors des
prochaines échéances électorales, en luttant contre le favoritisme, le
tribalisme, l’intolérance entre les groupes ethniques et politiques, la
corruption et l’esprit de manipulation politicienne.
Aux
jeunes
14. La jeunesse semble
aujourd’hui être mise au ban de grandes décisions de la vie sociopolitique
voire ecclésiale. Elle se sent étouffée et semble être en perte de repères.
C’est pourquoi nous lançons cet appel aux jeunes : Vous n’êtes pas seulement
des bénéficiaires passifs de grands décideurs et leaders, mais vous êtes le
présent et l’avenir du pays et donc acteurs de l’histoire. Vous êtes appelés à
écrire une histoire constructive. Soyez conscients de votre rôle capital dans
l’histoire de votre pays et de l’humanité. Ne vous laissez ni décourager par la
situation du pays ni désorienter par les démons de la MessagCECA2020Janvier5
haine et les entrepreneurs de la violence et de la destruction. Continuez de
combattre le mal par le bien selon la Parole de Dieu (Cf. Rm 12,21).
Au
Gouvernement
15. Conscients que la plupart
d’entre vous confessent la foi en Jésus-Christ ou encore en un unique
Dieu-Créateur, nous nous faisons l’obligation de vous rappeler vos devoirs
régaliens qui peuvent être conçus comme une « mission » à accomplir pour le
peuple. Vu l’ampleur des défis qui s’imposent à vous de manière inéluctable en
ce début d’année :
- Les élections législatives et
présidentielles qui se pointent à l’horizon ;
- Les intentions manifestes de
certains chefs de groupes armés à boycotter l’Accord politique pour la Paix et
la Réconciliation en République centrafricaine ;
- L’existence des
substitutions administratives par les groupes armés à l’intérieur du pays ;
- Le regain de violences dans
certaines localités ;
- Les mouvements de
déplacements internes ou bien des réfugiés et la cohabitation
intercommunautaire encore difficile dans certaines localités ;
- Le retour effectif ou
l’intention de retour de certains hommes politiques en exil ;
- La difficulté du déploiement de l’autorité
de l’Etat sur toute l’étendue du territoire et de son efficience ;
- La difficile collaboration
avec l’opposition politique ;
- L’approche du temps de la
transhumance ;
Recommandons
:
- De respecter le cadre
constitutionnel des élections ;
- D’organiser dans le délai
constitutionnel des élections libres et transparentes répondant aux exigences
démocratiques d’un Etat de Droit ;
- De revenir à la table de discussions avec
les groupes armés pour trouver des solutions consensuelles et pacifiques à vos
différends ou malentendus ;
- De mettre en œuvre sans délai des mécanismes
de sécurisation de la population civile, de faciliter les mouvements de retour
des populations déplacées ou réfugiées, en rendant opérationnelles les Forces
Armées Centrafricaines déployées à l’intérieur du pays ;
- De gérer avec sagesse le
retour des hommes politiques ;
- De redynamiser un cadre de
concertation et collaboration responsable avec les forces vives de la nation et
les partis politiques dans un esprit de patriotisme ;
- De tout mettre en œuvre pour
que les services décentralisés de l’Etat sortent de la figuration passive et
soient effectifs à l’intérieur du pays ;
- De promouvoir la bonne
gouvernance et une gestion saine des ressources naturelles au profit de la
population ;
- De bien préparer, encadrer
et sécuriser la transhumance pour éviter la destruction des champs, le vol de
bétail et des pertes en vies humaines.
Aux
leaders politiques
16. Nul ne doute de votre rôle
comme animateurs et acteurs de la vie politique. L’heure est aux débats des
idées et propositions concrètes et constructives. Ne soyez pas esclaves de vos
intérêts privés et convictions politiques au point de vous radicaliser. Faites
preuve d’un esprit de flexibilité politique et de concessions éclairées dans
l’intérêt du peuple.
Aux
groupes armés
17. Certains d’entre vous se
sont inscrits dans l’esprit et le respect de l’Accord politique pour la paix et
la réconciliation en République Centrafricaine : démantèlement des barrières,
libération des édifices administratifs... Par contre, d’autres continuent de
recruter, de conquérir de nouveaux espaces, d’exploiter abusivement et
illégalement les ressources naturelles, de tenir des barrières. Nous rappelons
que l’avenir de ce pays ne se situe pas au bout du canon. Il y a un temps pour
tout, « un temps pour la guerre, un temps pour la paix » (Eccl 3,8) ! La
cohérence et le respect des engagements sincères pour la cessation de toute
hostilité nous permettront d’écrire ensemble une histoire d’un Centrafrique
prospère par la voie de la paix et du dialogue.
Aux
victimes de violences injustifiées
18. Nous vous renouvelons
notre proximité et compassion et rappelons notre détermination à être à vos
côtés par nos prières. Nous espérons que justice vous sera rendue.
A
la communauté internationale
19. Nous saluons les efforts
déployés jusqu’alors pour la consolidation de la paix, la restauration de la
sécurité et la cohabitation pacifique entre les communautés. Nous vous
exhortons à travailler davantage pour la mise en œuvre effective de l’Accord
politique pour la paix et la réconciliation en République Centrafricaine. Dans
le respect de la neutralité et de l’impartialité, nous vous encourageons à
créer les conditions favorables à l’organisation des prochaines échéances
électorales dans un climat de calme et de transparence.
Aux
hommes et aux femmes de bonne volonté
20. Travaillez à la sauvegarde et au respect
de la création. Nous vous exhortons à promouvoir la cohésion sociale dans le
respect de la diversité culturelle et confessionnelle.
A tous
nos concitoyens et à toute la nation
21. Nous adressons nos vœux de
paix, de réconciliation, de communion fraternelle et d’acceptation mutuelle des
différences pour construire une paix durable en Centrafrique.
22. Que la Vierge Marie, Reine
de la paix, par son intercession, soutienne nos engagements pour la paix. Donné
en la Cathédrale Notre Dame de l’Immaculée Conception Bangui, 12 janvier 2020
Mgr Nestor-Désiré NONGO
AZIAGBIA Evêque de Bossangoa Président de la CECA
Mgr Bertrand-Guy-Richard
APPORA NGALANIBE Evêque de Bambari Vice-Président de la CECA
Dieudonné Card. NZAPALAINGA
Archevêque de Bangui
Mgr Guerrino PERIN Evêque de Mbaïki
Mgr Cyr-Nestor YAPAUPA Evêque
d’Alindao
Mgr Dennis Kofi AGBENYADZI
Evêque de Berbérati
Mgr Tadeusz KUSY Evêque de Kaga-Bandoro
Mgr Miroslaw GUCWA Evêque de
Bouar