(Pour
comprendre qui sont les No̰y̰, nous reprenons ici un chapitre du livret du père
Joseph Fortier, Histoire du pays Sara,
Centre d’Etudes Linguistiques, Sarh, 1982. Cette lecture permettra de mieux
comprendre les choses et ne pas se laisser enfermer dans une idéologie qui a
fait son temps. Il ne faut pas oublier le premier article de la déclaration
universelle des droits de l’homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et
en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns
envers les autres dans un esprit de fraternité. » Pour les chrétiens, cela va encore plus
loin car nous trouvons dans l’épitre de saint Paul aux Galate 3,28-29 que les
barrières sont tombées et qu’il n’y a plus de différences, dès lors qu’on est
chrétien : « Là, il n’y a plus de distinctions :
Juif et Grec, esclave et homme libre, homme et femme ; tous vous êtes
devenus un dans le Christ Jésus. Et si vous
êtes au Christ, vous êtes la descendance d’Abraham, les héritiers de la
promesse. »)
On ne peut rien comprendre au « système » de la
royauté à Bédaya, si on ignore les forgerons « No̰y̰ » et le rôle
capital qu’ils ont joué à l’origine surtout pour fortifier le pouvoir du Mbang.
Or, il y a vingt cinq ans, en 1955, le secret sur ce rôle était si bien gardé
que Robert Jaulin, dans son livre La mort
sara, ne prononce pas une seule fois leur nom. Il ne savait même pas que le
vieux Mûû aveugle qui l’avait initié à Béko était un No̰y̰.
Pour l’homme de la rue, les No̰y̰ formaient une caste
« d’intouchables » avec qui on évitait le plus possible des
rapports : un simple repas sacrificiel pris avec les No̰y̰, ou le fait d’avoir,
fût-ce une seule fois, des relations sexuelles avec une femme No̰y̰ suffisait à exclure un homme de la
société sara il ne pouvait plus épouser une femme de sa tribu. Les
No̰y̰, femmes ou hommes, se couvraient le visage, baissaient la tête quand ils
rencontraient un Sar. Les Sar, eux, passaient indifférents, mais redoutaient
les No̰y̰ qui avaient la réputation de se changer en bêtes sauvages
(phacochères, chacals, renards).
Par ailleurs, c’étaient des hommes inoffensifs qui
demeuraient en marge des populations sara environnantes : ils vivaient
surtout de la pêche ou de vannerie en confectionnant ces fameux paniers
ordinaires.
L’étude comparative de la langue des No̰y̰ et de celles
du groupe tounia-niellim dont il font partie a permis de cerner leur vocation
essentielle, celle de forgeron. Les No̰y̰, au nombre de quelques centaines,
sont strictement localisés en pays sar, entre les 3 rivières Mandoul, bahr
sara, bahr ko dans les 5 cantons de Bédaya, Bessada, Djoli, Balimba et Koumogo.
On n’en trouve pas ailleurs au Moyen-Chari.
Il ne reste plus que des bribes de l’ancienne langue des
No̰y̰. (70 mots environ recueillis par le PP Hallaire et Palayer) 45
de ces mots ont des correspondants dans l’une des langues du groupe
tounia-niellim-kwa-tchini.
Or, il se trouve que le mot No̰y̰ n’existe ni en sar, ni
dans aucune des langues du groupe tounia. Ce n’est pas un nom d’ethnie. Les
No̰y̰ se désignent eux-même par le terme Loo,
proche du mot Lua par lequel se
désignent les niellim.
En revanche, Carbou, dès 1912, dans
son livre La région du Tchad et du
Ouaddaï, avait signalé que les Bilala du Lac Fitri traduisaient le mot
arabe Haddad, par noe / pluriel Noege. Aujourd’hui encore chez les
Kouka et les Bilala, No̰y̰o̰ désigne tout artisan et en particulier le
forgeron. Les deux termes ne se recouvrent pas exactement : le mot bilala
désigne d’abord l’artisan et surtout le forgeron et secondairement une
« caste sociale inférieure », la langue sar qui dispose du mot Kode pour désigner le forgeron a retenu
le mot No̰y̰ pour désigner cette caste inférieure. C’est Gayo Kogongar qui le
premier a fait le rapprochement entre le mot bilala et le mot No̰y̰ employé par
les Sar. Les forgerons No̰y̰ jouent un rôle important surtout à Bédaya et à
Benguébé. Ngaridabay le forgeron du roi, celui qui forge ses anneaux de
cheville, résidait jadis à Béroti petit village de pêcheurs en amont de Bédaya,
sur le Mandoul. Depuis 1955, il est venu s’installer à Bédaya, au quartier
Ganguera près de l’ancienne famille des Mbang jonde, gardien du cimetière
royal. Son arrière-grand-père Kode Kirkiyan et son grand-père Mang Koute
étaient autrefois au service du Ngorgue Hori dans le canton de Balimba. C’est
vers 1850 seulement qu’ils sont venus s’installer à Bédaya. A Benguébé, le
quartier Kodi couvre le tiers du village, et l’un des deux forgerons est
souvent appelé pour confectionner des béssi protecteurs. Le forgeron du roi se
fait une haute idée de son métier ; « c’est Nuba (Dieu) qui lui a donné dans le ciel la masse-marteau au
premier forgeron et lui a dit qu’en forgeant sur la terre, pour les hommes, des
couteaux de jet, des sagaies, des houes et des haches, il aurait un grand
pouvoir parmi eux. » Ce métier sacré, qui vient d’en haut, fait des
forgerons des hommes à part, qui échappent à certains interdits. Ainsi ils
peuvent manger du poisson et du gibier tombé à terre, au cours des chasses ou
des pêches rituelles. Les Sar du commun ne le peuvent pas. Le roi lui-même, qui
n’a pas le droit de s’asseoir par terre peut le faire quand il séjourne à la
forge ; comme en témoigne un adage de Bébinga : « La forge est au-dessus du roi, bəla tɔy
Mbang. » Le forgeron ajoutait qu’il salue le roi d’un simple geste de
la main, mais sans se déranger. Par ailleurs la métallurgie du fer était, dans
les temps anciens, quelque chose d’étranger aux Sar. Jusqu’à une époque toute
récente (1940) ils n’ont jamais exercé le métier de forgeron. Seuls dans la
région, parmi le groupe sara, nes Ngama extrayaient le fer en l’appelant
yede-Nuba ’l’excrément de Dieu », lui attribuant eux aussi une origine
céleste. Dans la version sar des mythes, Sou,
le héros civilisateur, descend du ciel sur un câble de fer et il tombe non pas
chez les Sar, mais chez les Ngama, où il deviendra après sa chute et sa
disparition dans la rivière, un forgeron qui travaille sous la terre.
On comprend donc que les Sar et leur
roi aient voulu se concilier cette puissance redoutable de la forge et faire alliance
avec les forgerons No̰y̰, considérés comme les premiers habitants du pays. Ils
se les sont attachés mais en en faisant une caste, parquée dans un ghetto,
comme pour se tenir à l’écart de la manipulation de forces dangereuses.
Le premier groupe de No̰y̰, que
rencontre Kuoliyo en arrivant dans la région, fut celui des No̰y̰-jonde ainsi
appelés parce qu’ils résidaient jadis dans le hameau de Jondoo, situé près du
cimetière royal. Un bosquet d’arbres jonde
(balanites aegytiaca) signalait autrefois leur campement. Ils vivaient d’abord
entre eux, puis quand le premier roi eut fait alliance avec eux, ils deviennent
les No̰y̰-kage-ndoge-Mbang, « des poteaux de l’enclos du roi ».
Voici comment l’alliance fut
conclue :
« Au commencement, on a demandé au chef des No̰y̰-jonde d’être roi ; les No̰y̰ ont répondu : nous avons notre pierre
à assouplir la paille pour fabriquer nos panier et cela nous
suffit. »
Alors on a demandé à un mûû, prêtre de l’initiation, d’être
roi il a répondu : j’ai
mon gɔl bâton recourbé, insigne de ma fonction cela me suffit, je ne
veux pas être roi. Puis on a demandé à un forgeron qui a répondu : J’ai ma pierre d’enclume pour
forger cela me suffit, je ne veux pas être roi. » Enfin on
a demandé à un simple cultivateur, un Meskine qui a accepté » (récit de
Mantade, mère de Rode-i-ngar, chef des No̰y̰-jonde à Bédaya).
Quand ce premier roi mourut, ajoute
le forgeron de Bédaya, Ngaridabay, le nouveau roi demanda au chef des No̰y̰ de
garder son tombeau, et de renouveler les poteaux de clôture de la concession du
roi, à chaque intronisation. Ce roi fut également le premier à interdire aux
Sar d’épouser des femmes No̰y̰ et de manger avec eux.
En ce temps-là, Nganguera était un
village Sar les No̰y̰ vivaient encore à Béjondo. Ce n’est qu’après
la conclusion de l’alliance avec le roi qu’ils ont peuple le quartier Nganguera.
Bien sûr, la légende ne raconte que
ce qu’on peut dire à tout le monde, aux femmes et aux étrangers. L’origine des No̰y̰
métissés réside dans le second volet de l’alliance.
Quand Mbamoujigue, le 4ème
roi décida de faire initier son fils, il confia le secret aux forgerons et leur
demanda de diriger les premiers groupes d’initiés. En échange les forgerons
dûrent offrir au roi deux jeunes filles vierges. Lors de la fête des semailles,
l’une d’entre elles appelée Ngon-ngé-gombe, était chargée de
préparer la sauce filante avec la plante gombe.
Quand ces deux jeunes filles No̰y̰ devenaient nubiles, le roi, bien qu’il eût
interdit à ses sujets d’épouser des filles No̰y̰, en faisait ses concubines,
parce qu’il est au-dessus de la loi. C’est ainsi que le quartier Ngangera s’est
peuplé de bâtards royaux, les « No̰y̰ de l’enclos du Mbang ». D’après
Rode-i—ngar, cette coutume a cessé au début du siècle et il n’y a pas trace,
dans la généalogie des derniers rois, d’alliance avec des filles de forgerons.
Ce qui s’est produit plusieurs fois au contraire dans la famille du Mbang
Sanguelé et du Ngorgue Hori.
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