jeudi 30 mai 2024

TCHAD : Malheur aux vaincus (par Pascal Djimoguinan)

 Nous connaissons tous le vieil adage séculaire « Malheur aux vaincus », attribué à Brennus, chef Gaulois, lors de la prise de Rome en 390 avant notre ère. Ces mots traduisent l’atrocité et l’esprit de vengeance inhérente à toute guerre, surtout dans des sociétés non policées.

De la crainte qu’engendre une victoire, crainte que le vaincu d’aujourd’hui ne fourbisse ses armes pour vaincre demain, est née une barbarie dont l’objectif est de briser dans l’œuf tout idée de révolte ou de reconquête.

La barbarie s’exprime alors par la peur et l’humiliation.

 Il s’agit donc d’abord de faire peur à l’ennemi en faisant étalage de son arsenal et en brisant dans la force ce qui ressemble de près ou de loin à une expression de l’identité du vaincu : arrestations, assassinats etc.

Ensuite, il faut humilier le vaincu de telle sorte qu’il perde complètement sa dignité et n’ose plus relever la tête. ; on arrache donc les femmes des vaincus, on viole celles qui ont osé parler, châtiments corporels et moraux publics.

Voilà ce qui risque d’arriver au Tchad si la loi n’est pas respectée. Après les élections présidentielles qui viennent d’avoir lieu, dans le camp des vainqueurs, il y a trop d’esprits revanchards qui ne cherchent qu’en découdre avec les opposants, principalement les Transformateurs.

Il y a déjà des signes avant-coureurs de la mise en pratique de l’adage « malheur aux vaincus ». Il y a d’abord eu la démonstration de force à la suite de l’annonce des résultats provisoires (tirs, arrestations, intimidations…) Des tentations d’humiliation ont déjà commencé à l’égard des Transformateurs et cela risque d’aller, crescendo, jusqu’à l’horreur totale. Les femmes surtout doivent être prudentes ces jours-ci. Les hommes également vont connaître les pires humiliations, si leur vie n’est pas mise en danger.

Il est encore temps d’arrêter le processus diabolique qui se met en place et le gouvernement se trouve face à ses responsabilités.

Il faut se rappeler que nous sommes dans une république et ce qu’on appelle la Vème République ne saurait déroger à ses devoirs : le respect et la protection des citoyens, de tout citoyen.

Au Tchad, une lecture uniquement régionale qui sépare le pays en Nord et Sud est obsolète. La fracture est de plus en plus générationnelle et il faudra en tenir compte dans les analyses politiques et dans les projets de sociétés. Quitter la logique de la violence est, en fin de compte, bénéfique pour tous.

jeudi 23 mai 2024

TCHAD : Même dorée, la pilule est amère (par Pascal Djimoguinan)

 L’habileté politique de Mahamat Kaka, c’est d’avoir, amené Masra Succès à se tirer une balle dans le pied. Il a sans doute suivi pour cela les conseils des dinosaures de la politique tchadienne qui ne portent pas ce dernier dans leur cœur.

Grâce aux accords de Kinshasa, signés le 23 octobre 2023, entre le gouvernement tchadien et le parti les Transformateurs, le président de ce parti est devenu Premier ministre, ouvrant ainsi un boulevard aux membres de la Transition vers les élections. En effet, jusque-là, la communauté internationale, ainsi que les Transformateurs ainsi que la coalition des actions citoyennes, Wakit Tama, étaient opposés à ce que les membres de la Transition ne participent aux élections présidentielles qui allaient marquer la fin de la Transition.

Par les accords de Kinshasa, Mahamat Kaka a réussi un double coup : il a d’abord réussi à couper les Transformateurs de Wakit Tama et tout le groupe du boycott. Ensuite, il profite de l’influence des Transformateurs, désormais acquis à l’idée d’aller aux élections, même avec les membres de la Transition.

Comme pour tout coup de poker, les Transformateurs avaient misé gros :

- Passer l’éponge sur les victimes de la répression du 20 octobre

- Accepter la Transition, au point d’en faire partie,

- Voter Oui au referendum pour la nouvelle constitution (contre l’avis de ses anciens alliés).

Par les accords de Kinshasa, les Transformateurs avaient accepté d’avaler les couleuvres, attirés par les mirages des élections qu’on leur présentait comme libres et démocratiques. En réalité, il s’agissait d’une carotte que le cavalier MPS tenait au bout d’un bâton devant l’âne pour le faire avancer.

Après les élections, c’est l’heure d’avaler la pilule ; elle avait été dorée, elle n’en est que plus amère. Pris au piège, Masra Succès ne peut s’en prendre qu’aux effets sans toucher à la cause. Il ne peut contester que les résultats des élections, sans remettre en cause la légitimité des membres de la Transition à s’y présenter, d’autant plus qu’il porte désormais de forts relents de cette transition.

Que laisse présager l’avenir pour ce jeune homme ? Ce n’est pas en regardant les verres et les bouteilles cassés, reliques d’une fête qu’on peut juger de sa réussite. Ce n’est pas non plus en comptant ses pas qu’on avance. Il faut marcher. Tout ce que l’on fait contre le temps, le temps se fait un malin plaisir de le détruire. Masra Succès doit désormais apprendre à s’inscrire dans la durée. Son atout et son capital, c’est sa jeunesse. Il peut rebondir en tenant compte de l’expérience acquise. Une seule chose lui manque, écouter désormais, non seulement dans son cercle, mais aussi des voix venant de l’extérieur.




mardi 21 mai 2024

Tchad : L'opposition doit-elle se ranger ? (par Pascal Djimoguinan)

 Les élections présidentielles se sont tenues le 6 mai 2024 et ont donné, selon la Commission électorale, la victoire au président de la transition le 9 mai 2024 ; cette victoire a été validée par le Conseil constitutionnel le 16 mai 2024, avec un score de 61%, rejetant le recours du Premier Ministre Masra Succès.

La question qui traverse tout le microcosme politique ces jours-ci concerne la place de l’opposition. Doit-elle, oui ou non, participer à la gestion de la chose publique. La situation s’est en plus réchauffée, suite à une polémique provoquée par Saleh Kebzabo, président de l’Undr et médiateur de la République, qui a demandé au président élu de ne pas travailler avec l’opposition et tous ceux qui ont voté contre lui. Sans doute un pavé dans la mare, mais qui a l’avantage d’éclairer les idées sur ce que pensent les uns et les autres.

La véritable question est de savoir si l’opposition doit chercher à se fourvoyer dans un gouvernement d’union nationale, surtout qu’elle n’a pas une vision commune avec le pouvoir.

Parlant de l’opposition, il faut clarifier les choses. A la sortie des élections, le paysage politique est assez clair et peut être défini comme suit :

- Nous avons la coalition de tous les partis regroupés autour de la dénomination « Tchad Uni », et que nous pouvons qualifier de la mouvance présidentielle.

- Nous avons ensuite les neuf (9) partis qui se sont présentés contre le président de la Transition, ainsi que les dix (10) autres dont les candidatures ont été rejetées.

- Il y a enfin tous les groupes du boycott :  Les partis politique du groupe de concertation des acteurs politiques (GCAP) et la société civile et les syndicats du groupe Wakit Tama.

Si « Tchad Uni » est un groupe hétéroclite dont le dénominateur commun se trouve dans les intérêts personnels de chacun, les deux autres groupes ont encore à panser les plaies consécutives aux dernières élections avant de se mettre ensemble pour construire une opposition constructive.

Bien sûr, il ne faudra pas laisser la tribune politique vide. L’échéance est constituée par les législatives. Il faudrait que l’opposition mette en place une stratégie pour être valablement représentée dans l’hémicycle. De là, elle pourra faire son travail d’opposition, ayant bénéficié de la légitimité populaire. Il ne faut pas laisser les affamés  mener le Tchad car un proverbe bien connu de chez nous dit que « Quand Sou est rassasié, il brûle le reste du grenier. »