Il faut arrêter de faire la politique de l’autruche et
reconnaître que la politique du tout répressif qui a jusque-là été utilisée
aussi bien par l’Etat que les différents associations civiles et religieuses
pour lutter contre l’excision est un échec. Depuis quelque temps déjà il y a
une recrudescence de la pratique de l’excision, avec un pic pendant la période
de la Covid-19 où les activités scolaires et académiques ont été arrêtées.
Selon un reportage de RFI (Radio France Internationale), Rien qu’en juillet et août, dans la seule province du Mandoul, au sud du
Tchad, des centaines de filles et femmes ont été excisées (https://www.rfi.fr/fr/afrique/20200912-tchad-bien-interdits-cas-excision-multiplient).
Toute la politique et toutes les mesures qui ont été prises depuis plusieurs
années semblent n’avoir pas pu résister contre la vague de l’excision. Pire
encore, plusieurs filles et jeunes femmes « intègres (nom donné aux filles
qui disent non à l’excision) se sont faites excisées et plusieurs marraines des
filles intègres se sont transformées en marraines de l’excision.
La première conclusion
à tirer est que tout reste à refaire. L’heure n’est pas au pessimisme car cette
fois-ci, on ne part plus de nulle part. On sait ce qui a été tenté et qui n’a
pas réussi. Il faut s’appuyer sur cette expérience et éviter les erreurs du
passé.
Quel est l’état de la
question ? Dans les archives de l’Union interparlementaire qui est l’organisation
mondiale des parlements nationaux, nous trouvons un résumé de la situation au
Tchad :
- Etat de la situation : L'excision et la circoncision
sont pratiquées dans toutes les régions du Tchad. L'infibulation est en
outre pratiquée dans la partie orientale du pays, proche du Soudan. Selon
l'Organisation mondiale de la santé, le taux de prévalence était de 60 %
en 1991. Toutefois, l'UIP n'a pas reçu directement des statistiques ou
d'autres précisions officielles à ce sujet.
- Législation : Une loi de 1995
interdit les mutilations sexuelles féminines et prévoit des sanctions,
toutefois, les références et le texte de la loi n'ont pas encore été
communiqués à l'UIP par le Parlement.
- Structure
opérationnelle : L'UIP ne dispose pas d'informations à ce
sujet. (http://archive.ipu.org/wmn-f/fgm-prov-t.htm)
Il
serait grand temps de changer l’arme d’épaule et chercher d’autres solutions. En
partant de la situation présente, il faut se demander pourquoi est-ce ainsi.
La
solution qu’on avait cru trouver a été d’interdire la pratique et d’expliquer
aux femmes et aux filles que la pratique de l’excision est une mauvaise chose.
On n’a pas cherché à comprendre pourquoi la pratique continue et pourquoi
est-ce que parfois, certaines filles ayant fait des études jusqu’à l’université
décident de se faire exciser.
Il
faudrait chercher à comprendre la chose dans sa profondeur car les faits
sociaux et culturels traduisent souvent un mécanisme beaucoup plus complexe qu’on
le croit. Un travail de terrain avec des questions bien précises permettraient
de mieux saisir le cœur du problème. Qu’est-ce qui peut bien pousser des femmes
et des filles à braver les lois de l’Etat et celles de l’Eglise pour risquer
jusqu’à leur vie ?
Il faut commencer par demander aux femmes,
aussi bien dans nos villes que dans nos villages, ce que représente pour elle l’excision.
Quels sont les manques que vient combler cette pratique ? Combler
pourrait-on combler ces manques par autre chose ? Est-il autre chose qui
puisse être chargé de valeur affective assez puissante pour prendre la place de
cette pratique ?
Par
ailleurs, il faut explorer ce qui se fait chez les Mouroums dans la Tandjilé,
où les femmes ne pratiquent pas l’excision mais ont une sorte d’initiation
féminine sans ablation.
Il est
temps de se poser de bonnes questions car plusieurs femmes se sentent plutôt
agressées alors qu’elles ont l’impression de protéger leurs valeurs féminines. Sans
les soutenir, je les comprends. Il y aurait une levée de bouclier si l’Etat en
venait à interdire la circoncision chez les hommes. Il n’est jamais trop tard
pour bien faire. Ayons le courage d’entreprendre ce travail.