Le Bela des
Mbay peut à la rigueur être appelé un grand prêtre. Les gens le présentent
comme l’équivalent du Ngar-em-ndogue des Day et du Mbang des Sar. Ce sont les
Anciens qui s’emparent de celui que le devin leur a désigné et par force,
l’investissent en posant sur sa tête une sorte de couronne de plumes
d’engoulevent. C’est lui « le responsable suprême pour que la chance soit
au pays ». On ne saurait semer, sans qu’il ait symboliquement distribué
les semences ; on ne saurait récolter le mil, sans qu’il en ait reçu les
prémices. Des pièces de gibier ou du poisson lui reviennent, sans quoi les
activités de pêche ou de chasse seraient infructueuses. Aucune expédition
guerrière ne se faisait sans sa bénédiction.
ADLER, dans Vallée du Mandoul, III, p 100.
Le mbang de Bédaya est lui aussi le responsable suprême
de la « chance », dans son domaine. Il a partie liée avec la Terre,
par l’intermédiaire des Ancêtres et de son Couteau de jet sacré, pour qu’elle
donne des récoltes abondantes. Toute la vie cultuelle à Bédaya culmine au Bəna̰, la fête des Semailles. Quand tous
les rites de cette fête, qui s’étalent sur plusieurs mois, sont achevés,
« la pluie tombe et le Roi sème. »
Mais, s’il n’était que cela, le Roi serait un chef de
terre parmi beaucoup d’autres, en pays sar. S’il a reçu du Baguirmi, vers 1850,
le titre de Mbanḡ (roi-soleil), c’est qu’il avait à cette époque, parmi ses
pairs, un prestige exceptionnel à titre de grand Maître de l’initiation. C’est
par là qu’il était devenu le symbole de toutes les tribus sar depuis Koumra
jusqu’à Kyabé et depuis Djoli jusqu’à Koumogo.
A/ LE POUVOIR DU ROI DANS
L’INVESTITURE DES CHEFS DE TERRE
1) L’investiture royale,
essai d’unification politique
Au dire d’observateurs attentifs des sociétés tribales du
Moyen-Chari, il y a, dans la royauté sar, un premier essai d’unification
politique que n’ont tenté aucun de ses proches voisins, ni les Day, ni les
Mbay, ni les Ngam. Pour nous en tenir aux deux premiers et d’abord aux Mbays :
On rencontre chez eux trois pouvoirs distincts :
« le pouvoir politique », exercé par le Mbay-be, à l’origine, chasseur heureux devenu par ses richesses en
ivoire et en esclaves, le leader d’un gros village, dont l’influence ne s’étend
guère au-delà de l’actuel « canton ».
A côté de lui, il y a « un officiant de culte
agraire » qui préside la fête du Nouvel An, où l’on offre aux ancêtres la
bière confectionnée avec le mil nouveau il donne aussi le signal des
semailles on l’appelle le Nuerakɔlbe.
« Celui qui entretient le village. ».
Enfin, il y a « un spécialiste de l’initiation,
c’est Nguékɔrbangndo, « Celui
qui trace le carré des intitiés ». Les « Revenants », Dakwoyguə, ceux qui parlent avec la voix
des morts, se réunissent, à intervalles irréguliers, pour des danses nocturnes,
pendant lesquelles le village est « interdit ». Ce sont des initiés
de second degré.
C’était parmi eux qu’était choisi autrefois leur chef, le
« Bəla ». Mais celui-ci ne
jouait aucun rôle dans la vie quotidienne : il ne présidait ni les rites
agraires, ni l’initiation. Dans sa résidence solitaire, au bord du fleuve, à
l’écart du village, il constituait une sorte de « pouvoir occulte »
en réserve de la république. Conseiller des chefs politiques en période de
crise, il présidait de temps à autre, avec ses représentants dans chaque
village, une « Haute Cour de Justice », chargée de châtier les gens
indésirables. Il ne possédait aucune des reliques sacrées du chef sar : ni
Couteau de jet sacré, ni balafon, ni tambour.
Même séparation des trois pouvoirs chez les Day de
Bouna : on trouve chez eux, un chef politique, le Ngarəmndogə, « chef-d’enclos-palissade » un
officiant du culte agraire, le bodu,
chef de lune ou fête, et un chef d’initiation, le bobila, qui possédait un Couteau de jet sacré, Japay.
A Bédaya, ces trois pouvoirs sont concentrés entre les
mains du Roi, et représentés symboliquement dans le rituel d’investiture, par
lequel le Roi donne « un village à manger (commander) » à un de ses
sujets et en fait le « Possesseur de la Terre », Kɔ́ɓē ou Kɔ́ dɔnang.
- Le pouvoir politique, celui du Mbang, est signifié par
la présence des reliques sacrées, balafon et tambour. Les musiciens du Roi, le
balafoniste essentiellement, accompagneront de leur musique toute la cérémonie.
Ce pouvoir est encore symbolisé par le Ndoo,
« bâton de commandement » qui sera planté plus tard à l’ombre, où
le chef intronisé se repose à midi.
- Le pouvoir initiatique est représenté par le délégué
qui intronise au nom du Roi. C’est obligatoirement un mṵṵ tɔl ndo, un prêtre de l’initiation, contre-distingué du mṵṵ kutə, mṵṵ du
« tabouret », titre de Cour, intendant, tambourinaire, etc…
- Enfin, le pouvoir religieux ou cultuel est figuré par
le sacrifice de fondation lui-même où l’on immole un bouc, dont les viscères
sont enterrés sous des braises, pour qu’elles ne souillent pas le sol.
Ce sacrifice doit concilier au nouveau chef les
« puissances de la terre », car il est avant tout chargé, grâce aux
rites agraires, d’assurer à son peuple, santé, fécondité des femmes, fertilité
des champs. Il n’exerce le pouvoir politique que par délégation.
2) Description du rite à
Bénguébé (8 mai 1972
Il s’agissait de remplacer Toogue, le chf de terre.
Celui-ci étant mort sans enfant, c’est son fils adoptif, un No̰y̰ de caste forgeron qui avait été
choisi pour lui succéder par le Conseil de Mṵṵ, présidé par le Ngorgə du
lieu. Ce choix avait été notifié au Roi et approuvé par lui : Labegə, le
Mṵṵ qui devait l’intronise, avait servi de messager.
La cérémonie s’est déroulée à la nuit tombée vers 21
heures, un peu à l’écart du village. On avait dressé rapidement une hutte aux
cloisons de paille, où le candidat allait passer la nuit sur un lit de baguette
de Mbɔr avec un jeune garçon
impubère. Devant l’entrée de la hutte, le trou cylindrique, profond d’un mètre,
ou tout à l’heure, on enterrera les viscères du bouc sacrifié on y a
allumé un feu de gros rondins. A quelques distance, planté en terre, ndoo,
« le bâton de commandement ».
On tue d’abord le bouc, à coups de massue sur la tête,
après l’avoir muselé. Il doit être assommé et non égorgé. C’est Gague, un des
mṵṵ de Ngorgə, qui se charche de l’opération, puis, avec laegə, ils le
dépècent. Labegə se réserve le foie, partie noble le contenu de la
panse (herbes à demi-digérées) est enfermé dans deux petites marmites placées
bouche contre bouche, pour ne pas souiller la terre. On retire les rondins
enflammés du trou, on y jette les intestins, on replace les braises par-dessus
et on bouche le trou avec de la terre. Il est à peu près certain que le bouc
est une victime de substitution. Autrefois, avant 1900, on immolait un esclave
pour ce sacrifice d’investiture qui était parfois aussi un sacrifice de
fondation de village. C’est ce que raconte la légende de Ngabaja, chef d’un village aujourd’hui disparu, parce que Assede
l’avait fait exécuter et qu’il était souillé par le sang.
Les musiciens, installés sous un gros arbre, à quelques
pas de la hutte de paille sont entrés en action, le balafoniste du Roi (un
No̰y̰, lui aussi), Ngagosse, improvise une complainte sur son instrument, le
tambour de Ngorgue l’accompagne en sourdine.
Puis, le Mṵṵ Labegə va faire une offrande de boule de
mil au « Bâton de commandement », considéré comme un bessi, un objet
sacré. Le nouvel élu est assis sur le lit de mbɔr, son compagnon de lit, le jeune garçon est accroupi à ses
pieds. Le mṵṵ laisse tomber trois petites boules entre les mains jointes mais
outre ouvertes du candidat le jeune garçon les reçoit dans ses
paumes ouvertes. Le nouvel élu mangera le reste de la boule, après que le mṵṵ
en aura déposé quelques pincées sur le « Bâton de commandement ». Le
jeune garçon va dormir sur le lit de mbɔr,
le nouveau chef sur une natte à ses pieds. La veillée se prolonge encore
quelque temps, puis tous les assistants rentrent chez eux et tout retombe dans
le silence.
3) Importance de cette
investiture
Le Mbang-Day est seul dans tout le pays sar à donner
« un village à commander » non seulement à des chefs de moindre
importance, mais à ce qu’on peut appeler ses « grands vassaux »,
comme le Ngassade, le Mbang-Sabguelé, le Mbang-Diéy, et à ne le recevoir de
personne, « puisqu’il est simplement proclamé Roi par le Conseil des
mṵṵ.
Il est le seul, pour qui on ne fait pas le sacrifice de
fondation, avec le bouc étouffé lors de son intronisation. Même pour les grands
chefs qui ne sont pas investis par lui, Ngar-Koumra, Ngorgue Hori,
Mbang-Koutou, on fera ce sacrifice.
Il est au-dessus de tous les chefs de terre qu’il
investit. Même si, avant son élection, il a dû être investi comme chef de
terre, dans l’un des cinq villages, parmi lesquels, on peut choir un Roi, il n’est plus désormais lié à un terroir
par la médiation des ancêtres et des morts qui l’habitent, et auprès desquels
il fait fonction d’intercesseur.
Son pouvoir vient d’en haut et il est bel et bien Roi
sans partage.
B/ LE ROI ET SES VOISINS
Le Mbang Ngaral, actuellement régnant, affirme qu’il est
le suzerain de quatre grands chefs qui résident aux extrémités de l’aire
sar, dans la mouvance ou zone d’influence de Bédaya.
- Le Mbang Diéy, à l’ouest, au
canton de Koumra
- Le Mbang Sanguelé, au
nord-est, au canton de Djoli
- Le Mbang Béssouma et le
Ngaague Séwé, au canton de Koumogo.
Pour mieux vérifier ces liens de dépendance, nous
élargirons un peu le cercle et nous examinerons, dans l’ordre chronologigue
toutes les chefferies qui, au 19ème sicècle se sont rattachées à
Bédaya ou, au contraire, se sont séparées d’elle, tout en gardant certains
liens rituels avec le Mbang-Day.
1) Entre 1820 et 1840, la
Chefferie de Koumra se développe et prend du lustre
SAKENA, le premier Ngar-Koumra, originaire de Béssada et
petit-fils par sa grand-mère maternelle d’un mbang Bégué, chef de terre des
environs.
Il est l’ancêtre des trois Maisons de Béssada, de Koumra
et de Sanguelé. C’est lui, qui au dire d’Alina, son arrière-petit-fils (mort en
1970), se fit reconnaître le titre de Ngar-Koumra, par le sultan Abd-el-Kader
de Massénia, lors de sa campagne de 1854. Dès lors, il noue, comme son fils
Guirdi et son petit-fils Béaloum, une fructueuse alliance avec les Baguirmiens.
Les Sar no̰, ou
Sar de l’Ouest, Koumra, Bégué, Matekaga, Béssada, ont un cycle de fête à
part : ils célèbrent leur fête du Nouvel An, le Na̰ Bege, au mois de janvier et ils ont tous refusé d’obéir au
Mbang-Day, bien qu’ils pratiquent l’initiation sar, sous son contrôle.
2) Fondation de la Maison
de Sanguelé (vers 1850)
Les fils puînés de Sakena, le premier Ngar-Koumra fondent
la chefferie de Sanguelé, dont ils deviennent les Mbang. Malgré ces liens
d’origine avec la famille des chefs de Koumra et de Béssada, les chefs de
Sanguelé vont nouer presque immédiatement des liens rituels avec Bédaya.
Ils font, en particulier, comme le Mbang-Day, alliance
avec les No̰y̰-forgerons. Koute, le premier Mbang-Sanguelé a une épouse No̰y̰
qui sera la mère de Kir-kya, l’arrière-grand-père du forgeron royal de Bédaya.
Le Mbang Sangelé est intronisé avec le concours de
Bédaya dès que la nouvelle du décès de l’ancien chef lui est
annoncée, le Mbang-Day envoie à Sanguelé Ngué-Béssi, le gardien du Miya̰-bo,
avec son balafoniste. Le nouvel élu, désigné par les mṵ̰ṵ du lieu, passe trois jours et trois nuits de réclusion hors
du village. Pendant la dernière, le mṵṵ,Gotebé
qui officie et qui est un No̰y̰
procède au sacrifice du bouc, exactement comme à Bédaya. Le forgeron du Roi
vient aussi pour faire les anneaux de cheville en cuivre.
Pour la fête du Nouvel An, le Na̰ sar, le Couteau de jet sacré (qui est dit « mâle », à
la différence de celui de Bédaya) est tiré de la case du mbang et présenté à la
lune nouvelle à l’ouest, où la lune vient d’apparaître, puis aux trois autres
points cardinaux par le mbang lui-même, en présence de deux autres muṵ seulement, avec les vœux rituels
contre les épidémies, pour la fécondité des femmes et la fertilité des champs.
Puis, le mbang et son ngué-béssi vont bénir tour à tour
le Couteau de jet sacré, en crachant dessus des grains de petit-mil grillés et
à demi-mâchés, comme on le fait à Bédaya, la veille de la fête des semailles,
lors des rites privés de Do-Kowo.
Cependant, malgré ces liens rituels étroits, l’initiation
est présidée par les mṵṵ du lieu,
dans le petit-village de Hi-Hi, sans que le Mbang-Day envoie un mṵṵ, ni son balafoniste.
3) Nga-nda-kinja, ancêtre
des chefs de terre sar de Koumogo, vers 1840
« Nga-nda-kinja, fils cadet de Mbatoumgue chassé de
Bédaya parce qu’il a voulu prendre l’héritage de ses frères, vient s’établir à
Bade-bo (lieu-dit au nord de l’actuel Koumogo) près de mbang-kelé, grand chef
Ngam, qui résidait à cet endroit. Il lui achète la terre, c’est-à-dire le droit
de s’installer, contre un cheval et les dix kul
(monnaie de fer) qui représentait le prix d’un esclave. Nguera-Koum, son
troisième fils, fonde par la suite le village de Kemogue et reçoit le titre de
Nga-Kemogue. Dono̰, (le nom veut dire « force, violence » et lui a
été donné au Baguirmi, ou il a été élevé) son arrière-petit-fils, engagé dans
l’armée française, après la victoire de Kousseri et la mort de Rabèh, revient à
Koumago, village d’origine de ses oncles maternelles. L’administration
militaire le reconnaît comme le premier chef de canton ; il est
le père du chef actuel, Nandimangar » (récit fait par Nga-ngayinga en
1972, à Maurice Ricôme).
L’installation des Sar, dans la région fut pacifique
d’après la légende, mais elle fut suivie de coups de mains, de guérillas contre
les Ngam, qu’on repousse toujours plus à l’est. La fondation de Bé-binga est
typique de cette expansion par des chasseurs audacieux : « Noujingar,
venu de Koumra avait trouvé un bon terrain de chasse dans la forêt de
Koumago ayant vu aussi que la terre était bonne à cultiver, il va
trouver Nga-nda-kinja et lui demande s’il peut s’y établir à son tour.
« J’ai dû donner beaucoup de choses pour acheter cette terre, lui répond
l’autre ; si tu veux de cette terre la moitié, il faut me donner au moins
un cheval » et c’est ainsi que Noujingar devin le premier def de Ma-rɔ (je vais à la bataille) et qu’il
en chassa les occupants, les Ngam de Maro, et donna au village un nouveau nom Bebinga, le « Village du
renversement ». Bé-binga a aussi ses forgerons-No̰y̰.
D’autres fils de Nga-nda-kinja fondèrent encore d’autres
villages sar, en particulier Kassinda, visité par Maistre en 1892. Ces chefs
restèrent pauvres : ils se contentaient d’envoyer un bouc au Mbang-Day, en
signe d’obédience pour la fête des semailles, le Na-ɓəna et célébraient le Na
sar, chez eux.
Finalement, le seul lien vivant avec Bédaya, ce sont les
deux centres d’initiation, Mormoto (près de Békamba-ngam), et plus au nord,
Moundar, sis tous deux entre la Moula, affluent du Bahr ko, et le Bahr Sara.
Ces deux villages possèdent encore un chef de terre investi par Bédaya,
Mṵṵ-gue à Moundar et Ngabosgue à Mormoto : ils ont tous deux un mṵṵ
chargé de l’initiation ; mais le Mbang-Day leur envoie un autre
mṵṵ qui contrôle les premiers rites.
4) Fondadtion de Séwé et
Béssouma au canton Koumogo, vers 1880
Ces deux villages se trouvaient jadis entre Bédaya et
Ndila. Mais, sous le règne du sultan errant de Massénia, Mamat Abou Sékkine,
ces deux villages émigrèrent en masse de l’autre côté du Bahr Ko, par crainte
d’être emmenés comme esclaves. En effet, le Ngar-Koumra Béaloum vendait aux
Barguirmiens même les Sar des villages voisins. Comme les Sar de Bédaya étaient
déjà nombreux à s’être installés dans la région, ne Ngaague Séwé et le
mbang-Béssoumague devinrent tout naturellement les vassaux (padja) du Mbang-Day
et furent intronisés par lui. Le mbang Béssouma possédait jadis un Couteau de
jet dont la courbe supérieure portait en dehors « sept dents » comme
celui du mbang Bégué ; à l’occasion d’une visite à Bédaya, on lui lui
retira discrètement et on lui remit à la place, un Couteau en F, conforme à la
tradition locale.
5) Vers 1884, installation
des Sar dans 7 villages du canton Balimba
Lors de la dernière razzia de Mamat Abou-Sekkine, le
Ngorgue Kindé, de Ngakédjé accorde sept villages autour de Bémouli pour y faire
observer sa « coutume ». C’est l’origine du Too-bémoul, prêtre de l’initiation et du Nga-moul chef de terre
intronisé par Bédaya. Il est probable que la fondation de Semay est plus
ancienne : des pêcheurs No̰y̰, venus de Bédaya sont venus s’y installer
sans prévenir le Roi celui-ci nomma un Nga-semay sar pour les
surveiller et par la suite quand le centre d’intitiation de Bémouli fut créé le
chef des No̰y̰ du lieu prit le titre de mbang-semay, et joua pendant le Ndo le
même rôle que le Mbang-jonde à Bédaya.
6) Note sur les Sar de
l’ouest : Ngar-Koumra et Mbang-Bégué
Les deux familles sont étroitement liées dès l’origine,
par des alliances matrimoniales ; le berceau de la famille est
Ngaboulo, petit village près de Koumra.
Koumra se trouve sur « la route des
invasions ». Depuis que le
« Katourli » représentant du Baguirmi est installé à Goundi (1854),
avec un escadron de cavalerie, l’influence de Massénia est donc très accentuée.
Au lieu qu’à Bédaya, tous les pouvoir sont concentrés
dans les mains du Mbang, ici il y a « division du travail » : le
Ngar-Koumra est spécialisé dans la fonction guérrière allié officiel
du Baguirmi, en échange des esclaves qu’il livre à Massénia, il reçoit des
fusils et des chevaux.
Le Mbang de Bégué ne s’occupe lui que des fonctions
tiruelles et religieuses. A noter, cependant, que le Nar-Koumra, (intronisé
avec le sacrifice du bouc, mais sans intervention d’un délégué de Bédaya)
reçoit, au contraire un mṵṵ du Mbang-Day, pour le Ndo, qui exécute les
premiers rites, de concert avec les mṵṵ du lieu.
Mbang-Bégué et Mbang-Day. Par bien des traits, les
rituels observés sont identiques. Mêmes interdits, le mbang-Bégué mange seul,
il ne doit pas toucher la terre. Il est enterré nu, sur une couche de charbon
de bois et recouvert de la même atière, afins que, vif ou mort, son corps ne
touche jamais le sol. Il a un Couteau de jet sacré (mḭya̰ bo) auquel on offre
de la nourriture et de la boisson. Enfin, dernier détail et non le moindre, il
investit des chefs de terre, il leur donne « un village à manger »,
suivant le même rituel que le Mbang-Day : un an auparavant, un messager
vient apporter au candidat choisi par les mṵṵ du village, un « bâton de
commandement » qui s’appelle ici « torô » ; le candidat
peut refuser l’honneur qui lui est fait ; mais s’il accepte, le
rituel d’investiture se déroulera comme nous l’avons décrit.
Finalement, le seul point qui les distingue est
l’initiation : celle du mbang-Bégué se réduit à un ou deux villages,
puisque la majorité des Sar de Koumra pratiquent un Ndo, contrôlé par Bédaya.
Mbang-Bégué et Mbang-Dokwo : influence du
Mbang-Pon
Certains détails du rituel Bégué faisaient penser à une
influence musulmane par l’intermédiaire du Mbang-Pon, chef des Ndam, et
musulman lui-même car il est un très ancien vassal du Baguirmi (17ème
siècle).
Dokwo se trouve près de Matekaga, à 10 kms au nord de
Bégué. Avant leur intronisation, les deux futurs mbang font tous deux huit
jours de retraite en brousse (celui de Bégué, sur la terre de Ngaboulo)
exactement comme le Mbang du Baguirmi. Mais, les quatre village de Koli,
Ngatoli, Moussoumounda et Matekaga, participent à l’élection du Mbang Dokwo, ce
qui est le signe qu’ils dépendaient autrefois de sa juridiction comme chef de
terre : par la suite le mbang Bégué devenu plus puissant à cause de son
alliance avec le Ngar-Koumra aura fait du mbang-Dokwo son padja (vassal). Autre
argument en faveur d’une supériorité du mbang-Dokwo, le Na-bégué, la fête du Nouvel An des Sar de l’ouest, se célèbre à
Matekaga, et c’est le mbang-Dokwo qui la préside.
Enfin, tous les deux possèdent un Couteau de jet sacré
« à sept dents » sur la face externe de la courbure, forme inusitée
dans le domaine de Bédaya et ils reçoivent tous les deux, après leur
investiture le fouet rituel à lanières en peau d’hippopotame (Ndey-da) ; et c’est le Mbang-Fon
chef des Ndam, vassal du Baguirmi qui le leur envoie.
C CONCLUSION SUR LES RAPPORTS
DU MANG-DAY AVEC SES VOISINS
Tous pratiquent en gros le même culte et célèbrent les
mêmes fêtes, mais ils jouissent d’une large autonomie.
1) Divergence des rituels
Pour le rituel, il y a une frontière qui passe à l’ouest
de Béssada et qui sépare les Sar-No̰ de ceux de Bédaya.
Comme nous venons de le voir, les Sar de Bégué et de
Koumra ont un Couteau de jet à « sept dents » qui vient peut-être des
Ndam du Mbang. En tout cas, on ne dit jamais, chez les Sar de Koumra que le Miy̰ā̰-bo, le Couteau de jet sacré ait
été apporté du ciel par Sou le héros civilisateur des Sara.
Le rituel des fêtes est différent. A Béssada et dans les
trois cantons de Djoli, Balimba et Koumogo, en particulier chez le Mbang
Sanguelé et le Ngorgué Hori, le Mḭy̰ā-bo,
la relique sarée qui vient de Sou, par l’intermédiaire du Mbang-Day, est
montrée à la lune, mais en secret, la veille du Na Sar, qui est partout la
grande fête de l’année. A ngakédjé comme à Sanguelé, il y a une participation
active des No̰y̰-forgerons.
2) Les liens d’obédience
avec Bédaya sont très minces
Ils se réduisent, la plupart du temps à l’envoi d’un Mṵṵ, prêtre de l’initiation et du
balafoniste du roi, pour introniser les grands chefs de terre, dont nous vous
avons parlé : Mbang-Diéy, Mbang-Sanguelé, Mbang-Béssoumague et Ngaague
Séwa.
Le Na-Bena, la grande fête du Roi, pour les semailles,
devait être le grand rassemblement du ban et de l’arrière-ban des paja ou
vassaux du Roi. En fait, à l’heure actuelle, en dehors de Nga-Sade, qui est
toujours là et qui participe traditionnellement à la course des chevaux, et de
Muugue, le chef de terre de Moundar, personne n’y vient de l’extérieur, sauf
les chef de terre du canton de Bédaya, le Ngaague Békégné, le Ngorgue de
Bénguébé et ses mṵṵ, le Ngako et son Ngombang. Le Ngorgue Hori se contente
d’envoyer en cadeau un panier de petit mil blanc, le Ngaague Séwa lui, vient
chercher à Bédaya « le sel et le poisson » pour célébrer la fête chez
lui.
En fait, le seul vrai lien d’unité entre tous ces chefs
de terre, tous jaloux de leur particularité et de leur autonomie, c’est le Ndo
qui regroupe périodiquement, par classes d’âge, tous les jeunes sar de Koumra,
Béssada, Bémouli et Koumogo dans la célébration d’une même « coutume »
et la manducation d’un même repas initiatique sous la direction d’un mṵṵ
envoyé par le Roi de Bédaya.
La colonisation, en privant le Roi et les autres chefs de
terre de la dîme coutumière sur les récoltes, les produits de la pêche et de la
chasse, en fera « des parents pauvres » au profit des chefs de canton
qui perçoivent l’impôt et que, de ce fait encore, c’est l’initiation qui reste
la seule source de prestige incontesté du Mbang Day.
Joseph FORTIER, Histoire du pays Sara, Sar du Moyen-Chari
Centre d’Etudes
Linguistiques, Sarh – Tchad, 1982