Se
méfier de la mondanité et fuir le cléricalisme
Qui est l’évêque ? Le pape a répondu à
cette question en recevant une centaine d’évêques en territoire de mission, ce
8 septembre 2018, au Vatican. Il a particulièrement appelé les évêques à
se garder de la mondanité, de l’arrivisme, et à fuir le cléricalisme.
Les jeunes évêques de l’audience, venus
de 34 nations de quatre continents, participaient à un séminaire promu par la
Congrégation pour l’évangélisation des peuples, du 3 au 15 septembre, à Rome.
L’évêque, a expliqué le pape, est un
homme de prière, un homme de l’annonce et un homme de communion. Il a
recommandé notamment une prière employant le « franc-parler » avec
Dieu et tournée vers le Christ : « Il est facile de porter une croix sur
la poitrine, mais le Seigneur nous demande d’en porter une bien plus lourde sur
les épaules et dans son cœur : il nous demande de partager sa croix »,
a-t-il souligné.
Le pape a aussi plaidé pour une
attention particulière envers les familles, les séminaristes, les jeunes et les
plus pauvres. L’évêque, a-t-il assuré, « ne se complaît pas dans le
confort, il n’aime pas la vie tranquille et il n’épargne pas ses énergies, ni
ne se prend pour un prince, il se prodigue pour les autres, en s’abandonnant à
la fidélité de Dieu ».
Et de conclure : « Méfiez-vous, je
vous en prie, de la tiédeur qui conduit à la médiocrité et à l’acédie,
ce “démon de midi”… Méfiez-vous de la tranquillité qui esquive le
sacrifice ; de la précipitation pastorale qui conduit à l’intolérance ; de
l’abondance de biens qui défigure l’Evangile. N’oubliez pas que le diable entre
par les poches ! Je vous souhaite au contraire la sainte inquiétude pour
l’Evangile, la seule inquiétude qui donne la paix. »
Discours
du pape François
Chers frères, bonjour !
Je suis heureux de vous rencontrer à l’occasion de
votre séminaire de formation. Avec vous je salue les communautés qui vous sont
confiées : les prêtres, les religieux et les religieuses, les catéchistes et
les fidèles laïcs. Je suis reconnaissant au cardinal Filoni pour les paroles
qu’il m’a adressées et je remercie aussi Mgr Rugambwa et Mgr Dal Toso.
Qui est l’évêque ? Interrogeons-nous sur notre
identité de pasteurs pour en avoir davantage conscience, tout en sachant qu’il
n’existe pas de modèle-standard identique dans tous les lieux. Le ministère de
l’évêque donne le vertige, tant est grand le ministère qu’il porte en lui.
Grâce à l’effusion de l’Esprit-Saint, l’évêque est configuré au Christ Pasteur
et Prêtre. C’est-à-dire qu’il est appelé à avoir les traits du Pasteur et à
faire sien le cœur du sacerdoce, qui est l’offrande de sa vie. Donc il ne vit
pas pour soi, mais tendu vers le don de sa vie aux brebis, en particulier aux
plus faibles en en danger. C’est pourquoi l’évêque nourrit une vraie compassion
pour les foules de frères qui sont comme des brebis sans berger (cf. Mc
6,34) et pour tous ceux qui de diverses façons sont mis à l’écart. Je vous
demande d’avoir des gestes et des paroles de réconfort spécial pour tous ceux
qui expérimentent la marginalisation et la dégradation ; plus que d’autres, ils
ont besoin de sentir la prédilection du Seigneur, dont vous êtes les mains
prévenantes.
Qui est l’évêque ? Je voudrais esquisser avec vous
trois traits essentiels : c’est un homme de prière, c’est un homme de l’annonce
et c’est un homme de communion.
Homme de prière. L’évêque est successeur des Apôtres
et comme les Apôtres il est appelé par Jésus à demeurer avec Lui. (cf. Mc
3,14). Là il trouve sa force et sa confiance. Devant le tabernacle il apprend à
se confier au Seigneur. Ainsi grandit en lui la conscience que la nuit aussi,
quand il dort, ou le jour, dans la fatigue et la sueur du champ qu’il cultive,
le grain mûrit (cf. Mc 4,26-29). La prière n’est pas pour l’évêque dévotion,
mais nécessité ; pas un engagement parmi d’autres, mais un ministère indispensable
d’intercession : il doit porter chaque jour devant Dieu les personnes et les
situations. Comme Moïse, il tend les mains vers le ciel en faveur de son peuple
(cf. Ex 17,8-13) et il est capable d’insister auprès du Seigneur (cf. Ex
33,11-14), de négocier avec le Seigneur, comme Abraham. La parrhésie de la
prière. Une prière sans franc-parler n’est pas prière. C’est le Pasteur qui
prie ! Quelqu’un qui a le courage de discuter avec Dieu pour son troupeau.
Actif dans la prière, il partage la passion et la croix de son Seigneur. Jamais
satisfait, il cherche constamment à s’assimiler à Lui, en chemin pour devenir,
comme Jésus, victime et autel pour le salut de son peuple. Et cela ne vient pas
du fait de connaître beaucoup de choses, mais du fait de connaître une seule
chose chaque jour dans la prière : « Jésus Christ, et Jésus
crucifié » (1 Cor 2,2). Parce qu’il est facile de porter une croix
sur la poitrine, mais le Seigneur nous demande d’en porter une bien plus lourde
sur les épaules et dans son cœur : il nous demande de partager sa croix.
Pierre, quand il expliqua aux fidèles ce que devaient faire les diacres
récemment créés, ajoute – et cela vaut aussi pour nous, évêques : “La
prière et l’annonce de la Parole”. A la première place, la prière J’aime poser
la question à chaque évêque : “Combien de fois par jour prie-tu ?”.
Homme de l’annonce. Successeur des Apôtres, l’évêque
ressent comme le sien le mandat que Jésus leur donna : « Allez et
proclamez l’Evangile » (Mc 16,15). “Allez”: l’Evangile ne s’annonce pas assis,
mais en chemin. L’évêque ne vit pas dans un bureau, comme un administrateur
d’entreprise, mais parmi les gens, sur les routes du monde, comme Jésus. Il
apporte le Seigneur là où il n’est pas connu, là où il est défiguré et
persécuté. Et en sortant de lui, il se retrouve lui-même. Il ne se complaît pas
dans le confort, il n’aime pas la vie tranquille et il n’épargne pas ses
énergies, ni ne se prend pour un prince, il se prodigue pour les autres, en
s’abandonnant à la fidélité de Dieu. S’il cherchait des points d’appui et des
sécurités mondaines, il ne serait pas un véritable apôtre de l’Evangile.
Et quel est le style de l’annonce ? Témoigner avec
humilité l’amour de Dieu, comme l’a fait Jésus, qui s’est humilié par amour.
L’annonce de l’Evangile subit les tentations du pouvoir, de la satisfaction, du
retour d’image, de la mondanité. La mondanité. Gardez-vous de la mondanité. Il
y a toujours le risque de faire plus attention à la forme qu’au fond, de se
transformer en acteurs plus qu’en témoins, de diluer la Parole du salut en
proposant un Evangile sans Jésus crucifié et ressuscité. Mais vous êtes appelés
à être des mémoires vivantes du Seigneur, pour rappeler à l’Eglise qu’annoncer
signifie donner la vie, sans demi-mesure, prêts également à accepter le sacrifice
total de soi.
Et troisièmement, homme de communion. L’évêque ne peut
pas avoir tous les dons, l’ensemble des charismes – certains croient les avoir,
les pauvres ! – mais il est appelé à avoir le charisme de l’ensemble,
c’est-à-dire à garder unis, à cimenter la communion. L’Eglise a besoin d’union,
non pas de solistes hors du chœur ou de guerriers de batailles personnelles. Le
Pasteur rassemble : évêque pour ses fidèles, il est chrétien avec ses fidèles.
Il ne fait pas les Unes des journaux, il ne cherche pas l’approbation du monde,
il n’est pas intéressé par protéger son bon nom, mais il aime tisser la
communion en s’impliquant en première ligne et en agissant de façon humble. Il
ne souffre pas de manque de protagonisme, mais il vit enraciné dans son territoire,
en repoussant la tentation de s’éloigner souvent du diocèse – la tentation
des “évêques d’aéroport” – et en fuyant la recherche de gloire
personnelle.
Il ne se lasse pas d’écouter. Il ne se base pas sur
des projets faits sur un bureau mais il se laisse interpeller par la voix de
l’Esprit, qui aimer parler à travers la foi des simples. Il devient tout un
avec son peuple et d’abord avec ses prêtres, toujours disponible à recevoir et
à encourager ses prêtres. Il promeut par l’exemple, plus que par les paroles,
une sincère fraternité sacerdotale, en montrant aux prêtres que l’on est
Pasteur pour le troupeau, et non pour des raisons de prestige ou de carrière,
ce qui est si laid. Ne soyez pas arrivistes, s’il vous plaît, ni ambitieux :
paissez le troupeau de Dieu « non pas comme patrons des personnes qui vous
sont confiées, mais en vous faisant modèle du troupeau » (1 Pt 5,3).
Et puis, chers frères, fuyez le cléricalisme,
« façon anomale de comprendre l’autorité dans l’Eglise, très commune dans
de nombreuses communautés dans lesquelles se sont vérifiés des comportements
d’abus de pouvoir, de conscience et sexuels ». Le cléricalisme – corrompt
la communion, en tant qu’il « engendre une scission dans le corps
ecclésial qui encourage et aide à perpétuer beaucoup des maux que nous
dénonçons aujourd’hui. Dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique,
à toute forme de cléricalisme. » (Lettre au Peuple de Dieu, 20 août 2018).
Par conséquent ne vous sentez pas seigneurs du troupeau – vous n’êtes pas les
maîtres du troupeau – même si d’autres le font ou si certains usages du lieu le
favorisent. Que le peuple de Dieu, pour lequel vous avez été ordonnés, vous
sente pères, pas patrons ; pères prévenants : personne ne doit avoir envers
vous d’attitudes de sujétion. A ce stade de l’histoire, l’on voit s’accentuer à
divers endroits certaines tendances de “leaderisme”. Se montrer des hommes
forts, qui gardent leurs distances et commandent les autres, pourrait sembler
pratique et intéressant, mais ce n’est pas évangélique. Cela fait des ravages
souvent irréparables dans le troupeau, pour lequel le Christ a donné sa vie
avec amour, en s’abaissant et en s’anéantissant. Soyez donc des hommes pauvres
de biens et riches en relations, jamais durs et grincheux, mais affables,
patients, simples et ouverts.
Je voudrais aussi vous demander d’avoir à cœur, en
particulier, certaines réalités :
Les familles. Bien que pénalisées par une culture qui transmet la
logique du provisoire et privilégie les droits individuels, elles restent les
premières cellules de chaque société et les premières Eglises, parce qu’Eglises
domestiques. Promouvez des parcours de préparation au mariage et
d’accompagnement pour les familles, ce seront des graines qui donneront du
fruit en leur temps. Défendez la vie juste conçue comme celle de la personne
âgée, soutenez les parents et les grands-parents dans leur mission.
Les séminaires. Ce sont les viviers de demain.
Soyez pour eux un foyer. Vérifiez attentivement qu’ils soient guidés par des
hommes de Dieu, par des éducateurs capables et matures, qui avec l’aide des
meilleures sciences humaines, garantissent la formation de profils
humains sains, ouverts, authentiques, sincères. Donnez la priorité au
discernement vocationnel pour aider les jeunes à reconnaître la voix de Dieu
parmi celles qui retentissent dans leurs oreilles et dans leurs cœurs.
Les jeunes, donc, auxquels le Synode imminent sera dédié.
Mettons-nous à l’écoute, laissons-nous provoquer par eux, accueillons leurs
désirs, leurs doutes, leurs critiques, et leurs crises. Ils sont l’avenir de
l’Eglise, ils sont l’avenir de la société : un monde meilleur dépend d’eux.
Même quand ils semblent infectés par le virus du consumérisme et de
l’hédonisme, ne les mettons jamais en quarantaine ; cherchons-les, écoutons
leur cœur qui supplie vie et qui implore liberté. Offrons-leur l’Evangile avec
courage.
Les pauvres. Les aimer signifie lutter contre toutes les
pauvretés, spirituelles et matérielles. Consacrez du temps et de l’énergie aux
plus nécessiteux, sans crainte de vous salir les mains. Comme apôtres de la
charité, rejoignez les périphéries humaines et existentielles de vos diocèses.
Enfin, chers frères, méfiez-vous, je vous en
prie, de la tiédeur qui conduit à la médiocrité et à l’acédie,
ce “démon de midi” (sic). Méfiez-vous de cela. Méfiez-vous de la
tranquillité qui esquive le sacrifice ; de la précipitation pastorale qui
conduit à l’intolérance ; de l’abondance de biens qui défigure l’Evangile.
N’oubliez pas que le diable entre par les poches ! Je vous souhaite au
contraire la sainte inquiétude pour l’Evangile, la seule inquiétude qui donne
la paix. Je vous remercie pour votre écoute et je vous bénis, dans la joie de
vous avoir comme les plus chers d’entre les frères. Et je vous demande, s’il
vous plaît, de ne pas oublier de prier et de faire prier pour moi. Merci.
Traduction
de Zenit, Anne Kurian