MESSAGE DE PÂQUES 2018, à la communauté chrétienne de
Bangui, aux hommes et femmes de bonne volonté
«
Car si nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous
le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne. » Rm 6, 5
Chers
frères et sœurs, Et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté, En cette Nuit
sainte où tout culmine, l’Eglise célèbre, dans la joie, la résurrection de son
Seigneur : c’est la Pâques, le couronnement, la clef de lecture de l’histoire
du salut. Aujourd’hui, par toute la terre, retentit l’annonce de cette Bonne
Nouvelle : Jésus-Christ est ressuscité, alléluia !
Avec
Marie, les anges et les saints, célébrons l’aboutissement de notre longue
marche dans le désert à la suite du Seigneur. La route a été longue, exigeante
et parsemée d’embûches : notre prière insistante, nos justes privations, notre
pénitence profonde et sincère et notre partage authentique, nous permettent
aujourd’hui, par l’action de l’Esprit Saint, de contempler la lumière de la
résurrection du Seigneur, la lumière de notre résurrection.
Oui,
pendant les 40 jours qu’a duré le temps de carême, en famille spirituelle et
domestique, en mouvements, fraternités, groupes de prières, communautés voire
en paroisses, nous avons mené le combat spirituel et marché résolument jusqu’au
Calvaire. Au moment où nous pensions que tout était perdu, au plus profond des
ténèbres, à l’heure la plus âpre du combat, pour nous : « Fiat lux ![1] » : la lumière a jailli et, 1 Que la lumière
soit ! Gn 1, 3. 2 progressivement, elle s’est répandue dans toute l’église,
dans tous les cœurs, sur toute la terre. Libérés de l’esclavage de la mort et
du péché, nous sommes dorénavant filles et fils de Dieu ! Nous sommes les
disciples du Ressuscité ! Une telle annonce ne met-elle pas en mouvement ?
Rentrant
du tombeau vide, lorsque Marie Madeleine annonça à Pierre et au disciple que
Jésus aimait que la pierre tombale avait été déplacée, n’y accoururent-ils pas[2] ? Ce fut une course non
pas vers la mort mais vers la vie, la vie en plénitude. Nous aussi, en famille,
courons vers Celui qui éclaire nos vies et habite plus que jamais notre
histoire. Accueillons la lumière de son Esprit, elle qui, en nous faisant
comprendre la richesse du mystère que la liturgie célèbre, fonde plus que
jamais notre joie et notre dynamisme.
Avec le Christ, en famille, entrons dans
la dynamique de la Pâques !
La liturgie de la Pâques recèle une portée
mystagogique insoupçonnée : elle nous introduit vraiment dans le mystère le
plus intime de Dieu et de l’Homme. Du Jeudi Saint au Dimanche de Pâques, nous
pouvons apercevoir que la famille est témoin privilégié des hautes œuvres
divines pour le salut du monde.
Le
Jeudi Saint évoque la Cène, l’institution de l’Eucharistie : il s’agit d’un
repas réunissant autour de Jésus sa famille. Le Seigneur choisit le repas,
l’une des réalités humaines et familiales les plus éminentes, pour en faire la
source et le sommet de la vie de toute
l’Eglise. Il nous montre ainsi qu’au cœur de nos familles, le repas
communautaire tient une place de prédilection : il est un moment de communion,
de partage, de face-à-face sincère, d’échanges fructueux. Et encore, il nous
enseigne que le repas eucharistique est l’âme de la nouvelle famille à laquelle
la foi nous fait appartenir.
« Vous ferez cela en mémoire de moi3[3] » dit-il, injonction qui
nous remémore le rituel de la Pâque juive. À chaque vigile de la Pâque juive,
pendant le repas, le père de famille présidant la table se doit de répondre à
la question posée par son plus jeune fils de savoir le sens de l’événement
liturgique en question[4]. Il s’agit du repas
commémorant le passage de l’esclavage à la liberté. Je voudrais m’appuyer sur
le devoir du père de la famille dans la Pâque juive pour rappeler aux pères et
mères, aux responsables de mouvements, fraternités et groupes de prière qu’il leur
incombe de transmettre à leurs enfants la mémoire vivante des œuvres du
Seigneur autant au sein de l’Eglise domestique que des familles spirituelles.
Dans
notre Pâques, il s’agit aussi d’un repas de passage, mais le passage de
l’esclavage de la mort et du péché à la vie d’enfant de Dieu. Chaque
Eucharistie qui en est l’expression la plus forte l’actualise et signifie que
Jésus vit et agit en nous.
Enfin,
dans le récit des préparatifs de la Cène[5] , nous pouvons apercevoir
le dynamisme et le sens du service régnant dans la famille de Jésus. En effet,
pour que le repas pascal ait lieu, les disciples déployèrent une certaine
activité : réservation du lieu, l’aménagement de la salle... Dans la
fresque qui traditionnellement représente la Cène, nous voyons Jésus qui, de
par sa position centrale, celle du chef de famille, distribue le pain et le vin
et en donne le sens spirituel. Dans l’évangile selon Saint Jean[6], c’est le jour où il lave
les pieds de ses disciples montrant que le service est la règle d’or de la vie
dans la famille de Dieu. En somme, la dimension familiale caractérisant le
Jeudi Saint préfigure déjà en quelque sorte la solidarité de Jésus et des siens
dans sa passion.
En
effet, le Vendredi Saint n’est rien d’autre que l’accomplissement du mystère
que le Jeudi Saint symbolise. Ce jour-là, par sa mort sur la Croix, Jésus
réalise l’offrande de sa vie que les paroles de la Cène traduisent. La couleur
liturgique du Vendredi Saint est le rouge, symbole de l’Esprit qui unifie et
vivifie voire encore du sang versé pour la multitude : c’est le sang de
Jésus-Christ qui consolide les liens dans sa nouvelle famille. Le Vendredi
Saint nous fait penser à la réalité de la mort.
En mourant sur la croix, Jésus partage toute
la condition humaine à l’exception du péché. Il nous montre ainsi que la mort
n’est pas la fin de tout mais, au terme de notre vie menée dans la foi,
l’espérance et la charité, nous entrons dans la vie de Dieu. Jésus n’a pas
banalisé la mort. Bien au contraire il en a éprouvé la souffrance lui qui a pleuré
le décès de son ami Lazare[7]. Cela nous rappelle la
signification forte de la célébration des funérailles dans notre société. Ce
sont des occasions où les liens se resserrent, où la compassion et la miséricorde
se manifestent dans toute leur force : la famille proche et lointaine, les
amis, c’est tout le monde qui vient pleurer et partager la peine de la famille
éprouvée.
Frères
et sœurs,
Le
Vendredi Saint devrait questionner notre comportement et notre manière de
célébrer la mort aujourd’hui. Car, malheureusement il arrive qu’ici et ailleurs
nous banalisons la mort au point de ne plus en percevoir la sacralité. La
figure de Tobith peut nous être une occasion d’avoir une attitude chrétienne
vis-à-vis de la mort, attitude faite de compassion et de solidarité : Tobith
est ce père de famille pieux et charitable qui ensevelissait les morts
abandonnés[8]. Ce faisant, il
accomplissait déjà la prédication paulinienne selon laquelle : « soit que nous
mourons, soit que nous vivons, nous appartenons au Seigneur[9] ».
Le
Vendredi Saint nous fait encore penser au grand silence inhérent à la mort de
Jésus : dans le silence de la croix, Dieu nous exprime tout son amour pour
nous. La liturgie du chemin de croix nous montre que Jésus n’est pas seul dans
sa passion. Il est conduit jusqu’au bois victorieux accompagné par la prière et
la tristesse de sa famille représentée par Véronique, Simon de Cyrène[10], les femmes de Jérusalem[11], celles qui
l’accompagnaient souvent[12], le disciple qu’il aimait
tant et Marie, sa mère. C’est la sainte Vierge, Notre Dame des Douleurs, qui
recueille dans ses bras son Fils défunt comme l’illustre merveilleusement la
Pietà de Michel-Ange. Elle symbolise tout notre amour et notre proximité pour
Celui qui s’est fait solidaire de nous de tout à l’exception du péché. C’est
sur la croix que naît la nouvelle famille de Jésus : à l’instar du disciple que
Jésus aimait, dorénavant, il nous incombe de prendre Marie chez nous[13], de faire communauté avec
Dieu.
La
grande extension de la famille nouvelle que Jésus instaure est mise en évidence
dans la liturgie du Samedi Saint. C’est la « nuit de la nouvelle création[14] » marquée par le symbolisme
de la lumière et de l’eau. En effet, la célébration débute dans le noir. Puis
le Cierge pascal et les lumignons que nous portons en marchant vers le chœur
colonisent progressivement les ténèbres pour les évincer définitivement dans la
proclamation de l’Exultet : c’est la proclamation de la résurrection. Nous
parcourons alors toute l’histoire du salut de la Genèse à l’Apocalypse,
l’histoire de l’Alliance de Dieu avec les hommes. La famille de Dieu regroupe
le peuple d’hier et celui du ciel dont la prière et le témoignage éclairent
notre présent et orientent notre espérance. Dans la nuit du Samedi Saint, en
procédant à la célébration du baptême, l’Eglise manifeste effectivement
l’avènement des temps nouveaux ainsi que celle de la nouvelle famille de Jésus-Christ.
Au
matin de Pâques, à ceux qui l’aiment et qui lui sont configurés, Jésus se
montre vivant. Il leur apparaît pour affermir leur foi. De la rencontre avec
Jésus ressuscité naissent une ardeur et un dynamisme inflexibles. L’homme
debout, posture du ressuscité que nous faiso 7 chantant le Alléluia, est celui
que Jésus envoie de par le monde annoncer la Bonne Nouvelle du salut[15].
Ce
dynamisme nouveau, nous sommes appelés à le manifester à l’intérieur de nos
familles de tous ordres. Pour nous tous, Pâques signifie le temps de la marche
nouvelle. Le peuple hébreu après la traversée de la Mer Rouge a chanté un
cantique d’action de grâce[16] tout en marchant vers la
Terre Promise : à leur instar, nous aussi, la résurrection du Christ, devient
la raison de notre dynamisme, de notre engagement à marcher sur le chemin de la
foi jusqu’au bout. Oui, frères et sœurs, avec le Christ ressuscitons !
En
famille, ressuscitons avec le Christ !
En lui
nous mourons du vieil homme pour naître du nouvel homme[17] : nous délaissons alors
la vie selon la chair pour la vie selon l’Esprit. Vivre sous la mouvance de
l’Esprit découle de la paix que le Christ nous offre et de la peur de témoigner
que nous exorcisons au profit d’une confiance inébranlable en l’amour du
Seigneur.
En
effet, lorsque Jésus apparaît aux Apôtres qui se sont emmurés dans la peur et
la déception, le premier don qu’il leur fait est celui de la paix : « la paix
soit avec vous ! [18]» Il le dit par trois
fois, comme les trois fois où il dit à Pierre : « m’aimes-tu ?[19] » La rencontre avec le
ressuscité est réellement pour nous une pessah, un passage, de notre état de
pécheur à celui d’aimé de Dieu, de la peur de témoigner au désir de tout offrir
pour le Christ, même notre vie ; c’est un passage de la mort à la vie, de la
peur de la sorcellerie ou des envoûtements à l’assurance de la puissance
glorieuse du nom de Jésus, du fatalisme à l’espérance, de la haine à l’amour, de
la désunion à la réconciliation et enfin de l’offense au pardon. À l’image de
l’expérience de Pierre, Jésus ressuscité offre à l’humanité pécheresse une
autre espérance ; il veut conduire sur une autre rive. Je le dis pour les
familles dans lesquelles perdurent la colère, la haine, une division
apparemment insurmontable : avec le Christ accueillons le passage vers la
nouvelle vie et la nouvelle fraternité.
Frères
et sœurs,
Comment
ces merveilles peuvent-elles parvenir jusqu’à nous de façon que cela ne reste
pas seulement parole, mais devienne réalité dans laquelle nous sommes impliqués
? En famille, il nous faudra courir vers la Vie.
En famille, courons vers la Vie
Oui, à l’instar de Pierre et de Jean, courons
vers la vie. Ne craignons pas d’être bouleversés, allons résolument à la
rencontre de Celui dont le rayonnement de l’amour suscite notre entrain.
Courons vers la nouveauté que la foi en la résurrection nous offre : si « nous
avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle,
nous aussi[20].
» Poussés par l’Esprit Saint, emboitons dorénavant le pas au Christ sur le
chemin de la gratuité et de la fidélité à notre engagement à tous les niveaux
de notre vocation chrétienne.
Courons
vers la vie en rejetant toute proposition, toute attitude mortifère :
l’égoïsme, la violence, le mépris, l’exclusion, l’endurcissement du cœur, la
facilité… Tout cela a été immolé sur la croix. Désormais, de tout notre cœur,
de toute notre énergie et de toute notre intelligence, recherchons les choses
d’en haut[21].
Courons vers la vie nouvelle, vers la société nouvelle en sachant que notre
histoire familiale, personnelle et collective, est illuminée par la
résurrection : Jésus assume notre histoire, fût-elle faite de rejets, de
trahisons et d’épreuves sanglantes. Il nous entraîne vers un ailleurs où nous
devons à notre tour nous engager pour plus de solidarité, plus d’éducation,
plus de dignité, plus d’attention aux pauvres et aux petits de nos sociétés, de
nos familles. Oui, courons dans les lieux de morts de nos quartiers pour y
crier la victoire et la souveraineté de la Vie.
Que
Marie, Notre Dame de l’Oubangui, elle qui a vécu le chemin de croix de son
Fils, qui a partagé la joie de la résurrection et de l’avènement du Saint
Esprit sur les apôtres, nous aide à vivre pleinement notre foi en son Fils
ressuscité. Amen !
Dieudonné
Card. NZAPALAINGA
[1] Que la
lumière soit ! Gn 1,3.
[2] Cf. Jn
20,1 s.
[3] Lc
19,22.
[4] Cf. Ex
13, 14. Le repas pascal juif s’appelle « Seder ». Bénédiction et distribution
du repas puis narration de l’histoire sainte sont faites par le chef de
famille. Placé à sa gauche, le plus jeune enfant se penche vers lui pour lui
poser les questions qui lui permettent de faire mémoire de l’histoire du salut.
[5] Lc 22,
7-13.
[6] Jn
13,13.
[7] Jn
11,35.
[8] Tobie
2,1 s.
[9] Rm 14,7.
[10] Lc
23,26.
[11] Lc
23,27.
[12] Lc
8,1-3.
[13] Jn
19,25-27
[14] Benoît
XVI, Homélie de la Vigile pascale, 2012.
[15] Cf. Mt
28, 19.
[16] Cantique
de Moïse, Ex 15, 1-18.
[17] Ep 4,
22.
[18] Jn 20,
19-29.
[19] Jn 21,
15-19.
[20] Rm 6,
4.
[21] Cf. Col
3, 2.