samedi 31 mars 2018

Message de Pâques 2018 de l'Archevêque de Bangui


MESSAGE DE PÂQUES 2018, à la communauté chrétienne de Bangui, aux hommes et femmes de bonne volonté
« Car si nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne. » Rm 6, 5
Chers frères et sœurs, Et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté, En cette Nuit sainte où tout culmine, l’Eglise célèbre, dans la joie, la résurrection de son Seigneur : c’est la Pâques, le couronnement, la clef de lecture de l’histoire du salut. Aujourd’hui, par toute la terre, retentit l’annonce de cette Bonne Nouvelle : Jésus-Christ est ressuscité, alléluia !
Avec Marie, les anges et les saints, célébrons l’aboutissement de notre longue marche dans le désert à la suite du Seigneur. La route a été longue, exigeante et parsemée d’embûches : notre prière insistante, nos justes privations, notre pénitence profonde et sincère et notre partage authentique, nous permettent aujourd’hui, par l’action de l’Esprit Saint, de contempler la lumière de la résurrection du Seigneur, la lumière de notre résurrection.
Oui, pendant les 40 jours qu’a duré le temps de carême, en famille spirituelle et domestique, en mouvements, fraternités, groupes de prières, communautés voire en paroisses, nous avons mené le combat spirituel et marché résolument jusqu’au Calvaire. Au moment où nous pensions que tout était perdu, au plus profond des ténèbres, à l’heure la plus âpre du combat, pour nous : « Fiat lux ![1]  » : la lumière a jailli et, 1 Que la lumière soit ! Gn 1, 3. 2 progressivement, elle s’est répandue dans toute l’église, dans tous les cœurs, sur toute la terre. Libérés de l’esclavage de la mort et du péché, nous sommes dorénavant filles et fils de Dieu ! Nous sommes les disciples du Ressuscité ! Une telle annonce ne met-elle pas en mouvement ?
Rentrant du tombeau vide, lorsque Marie Madeleine annonça à Pierre et au disciple que Jésus aimait que la pierre tombale avait été déplacée, n’y accoururent-ils pas[2] ? Ce fut une course non pas vers la mort mais vers la vie, la vie en plénitude. Nous aussi, en famille, courons vers Celui qui éclaire nos vies et habite plus que jamais notre histoire. Accueillons la lumière de son Esprit, elle qui, en nous faisant comprendre la richesse du mystère que la liturgie célèbre, fonde plus que jamais notre joie et notre dynamisme.
Avec le Christ, en famille, entrons dans la dynamique de la Pâques !
 La liturgie de la Pâques recèle une portée mystagogique insoupçonnée : elle nous introduit vraiment dans le mystère le plus intime de Dieu et de l’Homme. Du Jeudi Saint au Dimanche de Pâques, nous pouvons apercevoir que la famille est témoin privilégié des hautes œuvres divines pour le salut du monde.
Le Jeudi Saint évoque la Cène, l’institution de l’Eucharistie : il s’agit d’un repas réunissant autour de Jésus sa famille. Le Seigneur choisit le repas, l’une des réalités humaines et familiales les plus éminentes, pour en faire la source et le  sommet de la vie de toute l’Eglise. Il nous montre ainsi qu’au cœur de nos familles, le repas communautaire tient une place de prédilection : il est un moment de communion, de partage, de face-à-face sincère, d’échanges fructueux. Et encore, il nous enseigne que le repas eucharistique est l’âme de la nouvelle famille à laquelle la foi nous fait appartenir.
« Vous ferez cela en mémoire de moi3[3] » dit-il, injonction qui nous remémore le rituel de la Pâque juive. À chaque vigile de la Pâque juive, pendant le repas, le père de famille présidant la table se doit de répondre à la question posée par son plus jeune fils de savoir le sens de l’événement liturgique en question[4]. Il s’agit du repas commémorant le passage de l’esclavage à la liberté. Je voudrais m’appuyer sur le devoir du père de la famille dans la Pâque juive pour rappeler aux pères et mères, aux responsables de mouvements, fraternités et groupes de prière qu’il leur incombe de transmettre à leurs enfants la mémoire vivante des œuvres du Seigneur autant au sein de l’Eglise domestique que des familles spirituelles.
Dans notre Pâques, il s’agit aussi d’un repas de passage, mais le passage de l’esclavage de la mort et du péché à la vie d’enfant de Dieu. Chaque Eucharistie qui en est l’expression la plus forte l’actualise et signifie que Jésus vit et agit en nous.
Enfin, dans le récit des préparatifs de la Cène[5] , nous pouvons apercevoir le dynamisme et le sens du service régnant dans la famille de Jésus. En effet, pour que le repas pascal ait lieu, les disciples déployèrent une certaine activité : réservation du lieu, l’aménagement de la salle... Dans la fresque qui traditionnellement représente la Cène, nous voyons Jésus qui, de par sa position centrale, celle du chef de famille, distribue le pain et le vin et en donne le sens spirituel. Dans l’évangile selon Saint Jean[6], c’est le jour où il lave les pieds de ses disciples montrant que le service est la règle d’or de la vie dans la famille de Dieu. En somme, la dimension familiale caractérisant le Jeudi Saint préfigure déjà en quelque sorte la solidarité de Jésus et des siens dans sa passion.
En effet, le Vendredi Saint n’est rien d’autre que l’accomplissement du mystère que le Jeudi Saint symbolise. Ce jour-là, par sa mort sur la Croix, Jésus réalise l’offrande de sa vie que les paroles de la Cène traduisent. La couleur liturgique du Vendredi Saint est le rouge, symbole de l’Esprit qui unifie et vivifie voire encore du sang versé pour la multitude : c’est le sang de Jésus-Christ qui consolide les liens dans sa nouvelle famille. Le Vendredi Saint nous fait penser à la réalité de la mort.
 En mourant sur la croix, Jésus partage toute la condition humaine à l’exception du péché. Il nous montre ainsi que la mort n’est pas la fin de tout mais, au terme de notre vie menée dans la foi, l’espérance et la charité, nous entrons dans la vie de Dieu. Jésus n’a pas banalisé la mort. Bien au contraire il en a éprouvé la souffrance lui qui a pleuré le décès de son ami Lazare[7]. Cela nous rappelle la signification forte de la célébration des funérailles dans notre société. Ce sont des occasions où les liens se resserrent, où la compassion et la miséricorde se manifestent dans toute leur force : la famille proche et lointaine, les amis, c’est tout le monde qui vient pleurer et partager la peine de la famille éprouvée.
Frères et sœurs,
Le Vendredi Saint devrait questionner notre comportement et notre manière de célébrer la mort aujourd’hui. Car, malheureusement il arrive qu’ici et ailleurs nous banalisons la mort au point de ne plus en percevoir la sacralité. La figure de Tobith peut nous être une occasion d’avoir une attitude chrétienne vis-à-vis de la mort, attitude faite de compassion et de solidarité : Tobith est ce père de famille pieux et charitable qui ensevelissait les morts abandonnés[8]. Ce faisant, il accomplissait déjà la prédication paulinienne selon laquelle : « soit que nous mourons, soit que nous vivons, nous appartenons au Seigneur[9] ».
Le Vendredi Saint nous fait encore penser au grand silence inhérent à la mort de Jésus : dans le silence de la croix, Dieu nous exprime tout son amour pour nous. La liturgie du chemin de croix nous montre que Jésus n’est pas seul dans sa passion. Il est conduit jusqu’au bois victorieux accompagné par la prière et la tristesse de sa famille représentée par Véronique, Simon de Cyrène[10], les femmes de Jérusalem[11], celles qui l’accompagnaient souvent[12], le disciple qu’il aimait tant et Marie, sa mère. C’est la sainte Vierge, Notre Dame des Douleurs, qui recueille dans ses bras son Fils défunt comme l’illustre merveilleusement la Pietà de Michel-Ange. Elle symbolise tout notre amour et notre proximité pour Celui qui s’est fait solidaire de nous de tout à l’exception du péché. C’est sur la croix que naît la nouvelle famille de Jésus : à l’instar du disciple que Jésus aimait, dorénavant, il nous incombe de prendre Marie chez nous[13], de faire communauté avec Dieu.
La grande extension de la famille nouvelle que Jésus instaure est mise en évidence dans la liturgie du Samedi Saint. C’est la « nuit de la nouvelle création[14] » marquée par le symbolisme de la lumière et de l’eau. En effet, la célébration débute dans le noir. Puis le Cierge pascal et les lumignons que nous portons en marchant vers le chœur colonisent progressivement les ténèbres pour les évincer définitivement dans la proclamation de l’Exultet : c’est la proclamation de la résurrection. Nous parcourons alors toute l’histoire du salut de la Genèse à l’Apocalypse, l’histoire de l’Alliance de Dieu avec les hommes. La famille de Dieu regroupe le peuple d’hier et celui du ciel dont la prière et le témoignage éclairent notre présent et orientent notre espérance. Dans la nuit du Samedi Saint, en procédant à la célébration du baptême, l’Eglise manifeste effectivement l’avènement des temps nouveaux ainsi que celle de la nouvelle famille de Jésus-Christ.
Au matin de Pâques, à ceux qui l’aiment et qui lui sont configurés, Jésus se montre vivant. Il leur apparaît pour affermir leur foi. De la rencontre avec Jésus ressuscité naissent une ardeur et un dynamisme inflexibles. L’homme debout, posture du ressuscité que nous faiso 7 chantant le Alléluia, est celui que Jésus envoie de par le monde annoncer la Bonne Nouvelle du salut[15].
Ce dynamisme nouveau, nous sommes appelés à le manifester à l’intérieur de nos familles de tous ordres. Pour nous tous, Pâques signifie le temps de la marche nouvelle. Le peuple hébreu après la traversée de la Mer Rouge a chanté un cantique d’action de grâce[16] tout en marchant vers la Terre Promise : à leur instar, nous aussi, la résurrection du Christ, devient la raison de notre dynamisme, de notre engagement à marcher sur le chemin de la foi jusqu’au bout. Oui, frères et sœurs, avec le Christ ressuscitons !
 En famille, ressuscitons avec le Christ !
En lui nous mourons du vieil homme pour naître du nouvel homme[17] : nous délaissons alors la vie selon la chair pour la vie selon l’Esprit. Vivre sous la mouvance de l’Esprit découle de la paix que le Christ nous offre et de la peur de témoigner que nous exorcisons au profit d’une confiance inébranlable en l’amour du Seigneur.
En effet, lorsque Jésus apparaît aux Apôtres qui se sont emmurés dans la peur et la déception, le premier don qu’il leur fait est celui de la paix : « la paix soit avec vous ! [18]» Il le dit par trois fois, comme les trois fois où il dit à Pierre : « m’aimes-tu ?[19] » La rencontre avec le ressuscité est réellement pour nous une pessah, un passage, de notre état de pécheur à celui d’aimé de Dieu, de la peur de témoigner au désir de tout offrir pour le Christ, même notre vie ; c’est un passage de la mort à la vie, de la peur de la sorcellerie ou des envoûtements à l’assurance de la puissance glorieuse du nom de Jésus, du fatalisme à l’espérance, de la haine à l’amour, de la désunion à la réconciliation et enfin de l’offense au pardon. À l’image de l’expérience de Pierre, Jésus ressuscité offre à l’humanité pécheresse une autre espérance ; il veut conduire sur une autre rive. Je le dis pour les familles dans lesquelles perdurent la colère, la haine, une division apparemment insurmontable : avec le Christ accueillons le passage vers la nouvelle vie et la nouvelle fraternité.
Frères et sœurs,
Comment ces merveilles peuvent-elles parvenir jusqu’à nous de façon que cela ne reste pas seulement parole, mais devienne réalité dans laquelle nous sommes impliqués ? En famille, il nous faudra courir vers la Vie.
En famille, courons vers la Vie
 Oui, à l’instar de Pierre et de Jean, courons vers la vie. Ne craignons pas d’être bouleversés, allons résolument à la rencontre de Celui dont le rayonnement de l’amour suscite notre entrain. Courons vers la nouveauté que la foi en la résurrection nous offre : si « nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi[20]. » Poussés par l’Esprit Saint, emboitons dorénavant le pas au Christ sur le chemin de la gratuité et de la fidélité à notre engagement à tous les niveaux de notre vocation chrétienne.
Courons vers la vie en rejetant toute proposition, toute attitude mortifère : l’égoïsme, la violence, le mépris, l’exclusion, l’endurcissement du cœur, la facilité… Tout cela a été immolé sur la croix. Désormais, de tout notre cœur, de toute notre énergie et de toute notre intelligence, recherchons les choses d’en haut[21]. Courons vers la vie nouvelle, vers la société nouvelle en sachant que notre histoire familiale, personnelle et collective, est illuminée par la résurrection : Jésus assume notre histoire, fût-elle faite de rejets, de trahisons et d’épreuves sanglantes. Il nous entraîne vers un ailleurs où nous devons à notre tour nous engager pour plus de solidarité, plus d’éducation, plus de dignité, plus d’attention aux pauvres et aux petits de nos sociétés, de nos familles. Oui, courons dans les lieux de morts de nos quartiers pour y crier la victoire et la souveraineté de la Vie.
Que Marie, Notre Dame de l’Oubangui, elle qui a vécu le chemin de croix de son Fils, qui a partagé la joie de la résurrection et de l’avènement du Saint Esprit sur les apôtres, nous aide à vivre pleinement notre foi en son Fils ressuscité. Amen !
Dieudonné Card. NZAPALAINGA


[1] Que la lumière soit ! Gn 1,3.
[2] Cf. Jn 20,1 s.
[3] Lc 19,22.
[4] Cf. Ex 13, 14. Le repas pascal juif s’appelle « Seder ». Bénédiction et distribution du repas puis narration de l’histoire sainte sont faites par le chef de famille. Placé à sa gauche, le plus jeune enfant se penche vers lui pour lui poser les questions qui lui permettent de faire mémoire de l’histoire du salut.
[5] Lc 22, 7-13.
[6] Jn 13,13.
[7] Jn 11,35.
[8] Tobie 2,1 s.
[9] Rm 14,7.
[10] Lc 23,26.
[11] Lc 23,27.
[12] Lc 8,1-3.
[13] Jn 19,25-27
[14] Benoît XVI, Homélie de la Vigile pascale, 2012.
[15] Cf. Mt 28, 19.
[16] Cantique de Moïse, Ex 15, 1-18.
[17] Ep 4, 22.
[18] Jn 20, 19-29.
[19] Jn 21, 15-19.
[20] Rm 6, 4.
[21] Cf. Col 3, 2.

vendredi 16 mars 2018

Tchad : Grève et éducation, l’étudiant est l’éternel perdant (par Pascal Djimoguinan)




            Enfin la nouvelle est dans toutes les agences de presse du pays : « Ce mercredi 14 mars 2018 à la présidence de la république, le gouvernement tchadien et les centrales syndicales ont signé un accord après près de 9 heures de discussions sous l’égide du directeur du cabinet civil du président, Issa Ali Taher, de son conseiller à la sécurité, Djiddi Saleh et du secrétaire général de la présidence de la république, Me Jean Bernard Padaré. »
            Cet accord qui a mis fin à une grève sèche et illimitée qui a duré sept semaines avec la fermeture des tous les établissements d’enseignements et des hôpitaux publiques du pays.
            Cet accord rend les sourires aux fonctionnaires de l’Etat puisqu’ils ont obtenu la satisfaction dans la grande partie de leurs revendications, en grande partie pécuniaire.
            Les cours vont reprendre, et les hôpitaux rouvrir et on reviendra à la situation antédiluvienne.
            Cette conception simpliste de la réalité est fausse. Si les fonctionnaires et différents agents de l’Etat retrouveront leurs salaires avec aucun autre préjudice, il n’en sera pas de même pour les étudiants, les élèves et les étudiants.
            Il n’est jamais aisé d’interrompre les cours pendant sept semaines. A la reprise, pour beaucoup, ce sera tout simplement comme à la reprise de l’année scolaire ou académique. Il y a tout simplement des choses qu’on ne pourra pas rattraper.
            Il faudra revoir les programmations dans les différents niveaux. Faudra-t-il tout reprendre ou faire semblant de continuer ? Nous sommes tous les agents de la baisse de niveau des étudiants. Arrêtons de le leur reprocher puisqu’ils n’en sont que des victimes.
            Que dire des élèves de terminales ? Il y a plusieurs examens à passer sous réserve du bac. Ces examens, pour la plupart d’entre eux, ne sont pas composés au Tchad. Il suffit de parler de l’UCAC, l’ASECNA, les différentes écoles de statistiques.
            Lorsque les sujets arriveront, ils ne tiendront pas compte du temps où les cours s’étaient arrêtés au Tchad. Ils ne suivront que la programmation normale d’une année scolaire. Les élèves tchadiens qui sont en retard dans les programmes ne pourront qu’échouer. Nous pouvons donc dire que pour beaucoup d’élèves de terminales, l’année est déjà perdue.
            Une autre question qui porte en elle un dilemme se pose. A quel moment programmer le bac ?
            Si le bac a lieu tôt, les élèves tchadiens pourront s’inscrire dans les universités de la sous-région pour l’année prochaine.
            Cependant, programmer le bac tôt, cela signifie que tout le programme de terminale n’aura pas été vu. Même inscrit dans les universités de la sous-région, les étudiants tchadiens n’auront pas le niveau. Ils ne pourront pas combattre à armes égales avec leurs condisciples ayant suivi une année scolaire normale en terminale.
            Il est grand temps de décider quelques choses pour les jeunes qui étudient. Depuis 1979, ils sont sacrifiés dans les différentes luttes politico-militaires et sociales. Un code de conduite doit être adopté pour ne plus sacrifier les jeunes sur l’autel des différentes luttes. Que les adultes prennent leurs responsabilités. Une société qui ferme l’avenir à ses membres les plus fragiles et à sa jeunesse est une société vouée à la disparition.